RUY-VIDAL CONCEPTEUR D'ÉDITION

RUY-VIDAL CONCEPTEUR D'ÉDITION

1985. UN SYSTEME DE CONDITIONNEMENT INCONTESTÉ

 

UN SYSTÈME DE CONDITIONNEMENT INCONTESTÉ

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EXTRAIT D'UN ARTICLE ÉCRIT EN MAI 1984

A LA DEMANDE DE LA REVUE "SANTÉ MENTALE"

JOURNAL DE :

"LA LIGUE FRANÇAISE D'HYGIÈNE MENTALE"

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 Je n'étais pas attiré par le commerce et j'y répugne même. Mais la plus cruelle des constatations que j'ai pu faire dans ce "milieu préservé et réservé" qu'est l'édition pour la jeunesse était qu'il fonctionnait comme un "royaume de droit divin" et qu'il était géré au nom de diverses idéologies dont peu d'entre elles étaient véritablement culturelles et émancipatrices.

En particulier, j'étais indigné par une supercherie couramment et impunément pratiquée dans le marché des productions pour la jeunesse, sous les yeux de tous ceux qui voulait bien la voir, colportée et revendiquée effrontément par des fabricants de "produits" – j'emploie leur terme pour désigner leur sorte de livres – aussi bien que par les commerciaux qui diffusaient ces "produits", qui voudrait laisser croire, qu'en matière de livres pour  enfants, le fait commercial, ses résultats, c'est-à-dire les chiffres de vente, c'est-à-dire les statistiques et l'audimat, soient le seul "critéromètre" pouvant justifier les motivations de création des auteurs, illustrateurs et éditeurs et, en même temps, la seule sanction fiable indicatrice de valeur et de qualité de ces "produits".  

Inutile de dire que, confronté à cette supercherie entérinée par la majeure partie de la profession, j'eus souvent la tentation de céder au découragement. Un éditeur ne peut se contenter de créer des livres. Il faut aussi qu'ils soient vendus, donc achetés par le public ou par les bibliothèques, pour permettre à cet éditeur, par retour de l'argent investi, de nouveaux investissements et une accession à une crédibilité sinon une notoriété.  
     Depuis la publication des trois premiers livres, en 1967 : Le Géant égoïste, d'Oscar Wilde illustré par Herbert Danska, Les délicieuses prunes du roi Oscar le méchant écrit et illustré par Rick Schreiter  et Sans fin la fête, écrit par Eleonor Schmid et illustré par Étienne Delessert, j'avais pris conscience de cet étranglement auquel, par l'appareil de distribution,la structuration du marché obligeait les jeune éditeurs. J'étais certes ignorant et naïf dans le métier en m'improvisant éditeur en 1965/66, mais pas au point de penser que cette structuration puisse être le fruit du hasard et qu'elle n'avait pas été ourdie pour protéger les intérêts des anciens.

Compte tenu des obstacles qui empêchent un livre de "petit éditeur" d'arriver jusqu'à la devanture des librairies et en fonction de ce que je savais pour en avoir supporté les conséquences, je refusai tout net d'accepter l'idée, – Hélas, trop souvent défendue même par des bibliothécaires défaitistes ! – que ces chiffres de vente puissent être considérés comme représentatifs et significatifs de l'adhésion majoritaire des Français.

   Pour moi, ces "produits" issus de fabrication industrielle, souvent internationale, exposés en masse, au mépris du respect de toutes les règles protégeant la libre concurrence, par des organismes de diffusion-distribution surpuissants, n'étaient en rien homologables comme on voulait m'en convaincre aux goûts ou aux attentes des Français.

Mon raisonnement était le suivant : si les Français achetaient ces "produits" c'était parce qu'ils ne trouvaient rien d'autre sur le marché et à la devanture des librairies à se mettre sous la dent. En somme, selon ce raisonnement, ils achetaient ces "produits" faute de mieux!  

 Et cela alors que d'autres livres pouvaient avoir été publiés et exister mais qu'ils étaient introuvables!...

Je ne parle ici bien entendu que des  productions pour la jeunesse et ne généralise mon raisonnement à toute la production éditoriale française. En effet, par le fait que, pour les enfants, l'acheteur ne soit pas directement le jeune consommateur mais l'adulte prescripteur, ne serait-ce que sur le plan de la diffusion, les deux marchés des livres, pour enfants ou pour adultes, sont différemment structurés. Un seul principe les rapproche pourtant : celui de la rentabilité.

Je sous entends par là que les adultes sont plus informés et plus exigeants pour réclamer et choisir leurs livres alors que les parents et les prescripteurs en général, ont plus facilement tendance, pour ce qui est des livres pour enfants, à faire confiance aux libraires et à se résigner au choix que ceux-ci leur présentent.

Or, rappelons-le avec insistance, sur les 24 000 librairies françaises existant sur le territoire, seules cinq cents d'entre elles peuvent s'honorer de dire qu'elles sont indépendantes et qu'elles peuvent, en toute liberté commerciale d'action, décider de choisir les livres qui entrent dans leurs librairies et qu'elles proposent à leurs lecteurs.

Pour les quelques 19 000 autres commerces restant, qui vendent beaucoup de papèterie et les seuls livres de ces gros groupes d'édition auxquels ils sont astreints par contrats d'allégeance, inutile de chercher sur leurs étalages, des livres qui sortent un tant soit peu de "l'ordinaire".  

Par contre, il ne faut pas être grand clerc pour remarquer que toutes les étagères de ces négoces, qui vendent aussi du livre, sont squattées en permanence et régulièrement réapprovisionnées en "nouveautés" – qui n'ont de nouveau parfois que la couverture –, pour empêcher que d'autres qualités de livres puissent y être présentés. C'est au nom de cet ostracisme que les gros éditeurs imposent aux petits éditeurs que je me suis insurgé. Et c'est à cet ostracisme que personne ne semble remarquer que j'ai été confronté. Un ostracisme digne en tout point de celui que les gangs maffieux imposent aux commerçants pour leurs rackets.

Pour avoir subi, de la part de nombreux libraires, ce refus de recevoir mes livres – alors qu'ils ne leur étaient proposés que pour une période d'essai et de test sur un à deux mois –, j'en fus réduit à cette constatation désespérante : ce processus commercial qui favorisait exclusivement la vente des livres"ordinaires" des gros éditeurs, ne laissait aucune chance à mes livres d'exister. Il était meurtrier.

Par ce réseau maffieux s'établissait, sans y paraître, alors qu'ils avaient été produits par des candides ignorants, le noeud de strangulation et d'élimination de tous ces autres livres différents, parfois réellement nouveaux puisque affranchis en général des stéréotypes éculés caractéristiques des productions industrielles admises. Par cette censure à l'exposition et à la vente de ces livres qui se différenciaient des livres "ordinaires", s'opérait, du même coup, l'élimination de toute personne étrangère au "royaume préservé et réservé"  qui pouvait souhaiter apporter, en toute légitime bonne volonté, sa contribution éditoriale au profit des enfants.

Ainsi, selon ce que j'observais, c'est par la distribution et grâce à l'implacable système établi que, délibérément, se trouvaient tués dans l'oeuf tous les livres qui pouvaient apporter, par l'esprit, le fond et la forme, un sang neuf susceptible de réanimer les productions "ordinaires". Ainsi, se trouvaient aussi jugulés tous les renouvèlements possibles de la littérature pour la jeunesse.

Mentalement et moralement, politiquement cela va sans dire, il me semblait bon, sain, salutaire, que tous les prescripteurs (trices) comprennent que sur l'ensemble de la production française destinée à la jeunesse, 80% au moins des livres qui étaient conçus artisanalement, authentiquement et "pulsionnellement", livres révélateurs à la fois des préoccupations et des aspirations des créateurs contemporains et des attentes des parents et de leurs enfants, étaient occultés, donc niés et éliminés, avant d'être proposés en consultation à ces derniers et avant qu'ils aient eu la possibilité de faire leur tri et de choisir. 

Pour l'ancien pédagogue que j'étais, ce mépris, par l'argent, au nom de l'argent et de la rentabilité, de toutes nos règles démocratiques favorisant la libre expression des individus, la libre concurrence et l'égalité des chances d'exister et de s'exprimer, avait de quoi donner le vertige!  

Face à ce processus d'assujettissement à quoi nous obligeait ce trust imparable, il me sembla alors, indispensable de me retourner vers les Institutions ministérielles (de l'Éducation Nationale ou de la Culture) de soutien et d'encouragement au livre. Mais je compris vite que dans ces Institutions, les responsables aux postes de pouvoirs étaient plutôt de mèche avec les gros éditeurs puisque leurs surabondants bilans économiques de magnats plaidaient en faveur des finances publiques.

Certains de ces piliers du temple me firent comprendre que je souhaitais leur voir couper la branche sur laquelle ils étaient perchés. Ils me firent remarquer que face à ces géants approvisionneurs du Trésor public, je ne faisais pas le poids et que mon entreprise manquait de sérieux.

Je me rabattis alors sur les nombreuses Instances des Associations de bénévoles, dont les objectifs, véritable sacerdoce, étaient de recenser les livres publiés pour mieux les présenter aux parents de leurs petits lecteurs. Mais, force me fut de constater alors que la plupart des responsables de ces associations de soutien au livre et à la lecture, étaient généralement plus préoccupées, sans mauvaise foi aucune, par le recensement de l'énorme quantité de livres produits, donc supposés comme étant "à lire"par les enfants, plutôt que par les qualités, pour eux hypothétiques, de ces autres livres introuvables sur le marché.

Navré, je remarquais que leur slogan unanime, en parlant des enfants, était : "Pourvu qu'ils lisent!"...Ce qui laissait supposer que pour ces personnes de bonne volonté, prosaïquement, la lecture, quelles que soient le peu de qualités des choses lues, (à condition qu'elles ne soient ni perverses, ni dangereuses, ni...) était toujours un mécanisme, de lui-même et en lui-même, suffisamment salvateur et émancipateur. Et qu'en conséquence, la production excédentaire qui existait déjà sur le marché, mise à portée du plus grand nombre, était amplement satisfaisante et bienfaisante.

J'eus l'intime conviction à ce moment-là, au risque de me mettre à dos ces personnes de bonne volonté, que je devrais continuellement répéter, inlassablement, que ces 80% de livres étouffés, détournés et censurés par des pratiques contractuelles commerciales frauduleusement établies, en toute connivence, au su et vue de tout le monde, entre les grands groupes d'édition et la plupart des librairies françaises, étaient préjudiciables à la cause même qu'elles servaient.

Avec Germaine Finifter, éminente critique, alors qu'elle me parlait de ses difficultés à faire aimer la lecture aux enfants de l'École Decroly, au cours d'un tête à tête acharné qui, fort heureusement, se termina par une embrassade chaleureuse, j'allais même jusqu'à soutenir que, sans qu'aucun contre pouvoir ne prenne jamais le risque de se manifester, ce processus d'égorgement de tous les éventuels renouvèlements capables de dynamiser les productions pour la jeunesse, était la raison majeure qui décourageait les enfants d'adhérer à ces productions "ordinaires" et, donc, qui, ne les incitant pas à avoir envie de lire, les détournaient de la lecture.

Accord tacite, inconscience ou mensonge diplomatique : cette structuration abusive du marché du livre n'est généralement perçue ou avouée que par très peu de personnes de la profession. En parler c'est s'exposer à être traité de marxiste. N'en parlent et n'en soulignent l'hérésie, que ceux qui, jeunes téméraires nouveaux éditeurs comme moi, au pied du mur, s'aventurent par ingénuité, et par ignorance, dans ce "royaume préservé et réservé".

Pour ma part, si je fus littéralement atterré au début par l'existence de cette structuration et de ses pratiques instaurées en lois, mes motivations de création n'étant pas financièrement intéressées, elles me permirent, en fermant les yeux et en me bouchant les oreilles, de penser qu'elles n'étaient pas et ne resteraient pas infranchissables. Il faut dire que j'avais en moi, pour soutien d'encouragement, au titre de simple citoyen républicain, politiquement, énormément de mal à admettre, par principe démocratique, que ces lois, officieusement établies mais fermement entérinées par leurs pratiques, alors qu'elles étaient contraires aux principes de la libre expression et de la libre concurrence, puissent nous être imposées.

Par idéalisme, je trouvais amoral que ces réseaux maffieux puissent imposer aux libraires, dont le souci est de survivre, de prendre en office et en charge, sans les choisir, des productions bien plus encombrantes qu'ils ne le souhaitaient ou que leur gestion puisse supporter. 

Par sympathie pour les libraires, j'en arrivais presque à comprendre que contraints au forcing, pris à la gorge, ils ne puissent alors que décliner, sans même vouloir les regarder, l'offre des autres livres que de petits éditeurs pouvaient leur présenter...

Mais de tous ces constats faits sous le coup de l'indignation, ma conclusion était tout de même très pessimiste puisque j'avais compris que, quoi que l'on tente, dans l'esprit de la majorité des gens, c'étaient toujours ces "produits" stéréotypés, livres formatés dans le souci, évident et avant tout, de plaire à tout le monde qui tiendraient, en majorité, le haut du pavé.

  

Mon opinion n'engageait que moi bien entendu, mais je trouvais inadmissible que ces livres, fruits de considérations et de spéculations surtout et avant tout commerciales, en fonction des attentes présumées d'un petit français moyen frustre, calqués sur un Q.I. d'individu médiocre, puissent être acceptés au point de passer pour "ordinaires", c'est-à-dire exactement représentatifs de ce qui était "conforme aux goûts des gens". Pour moi, ces livres ne remplissaient pas leur rôle, sans les nourrir, ils ratiboisaient les esprits. C'était des mâte faims. Des faux livres. Des livres rase-moquettes. Des livres conformistes qui étaient produits à l'intention des masses populaires en affectant d'être bienfaisants et émancipateurs alors qu'ils ne visaient qu'à maintenir les inégalités de caste.

Hélas, puisqu'ils étaient les seuls à être présents à l'étalage des librairies, ils étaient aussi les seuls à être pris en compte dans l'esprit du public. Aucune chance n'était laissée à ces masses populaires pour une spéculation et une aspiration vers un autre livre de qualité différente!

Que les responsables, banquiers de ces pratiques commerciales illicites se flattent de leurs résultats et de leurs chiffres de vente était une chose intolérable mais compréhensible : Ils n'étaient que des investisseurs qui avaient souci de leurs champs d'investigation et de leurs ensemencements. Sans être tolérant on pouvait comprendre leur raisonnement...Mais que nos Institutions s'en satisfassent et qu'aucun contre pouvoir ne s'insurge est une autre question plus dramatique!

Par un processus falsificateur d'inversement, gros comme une montagne mais que peu de gens semblait voir, ces livres"ordinaires"étaient présentés, puisque existant partout, comme insurpassables. La mentalité majoritaire allait même jusqu'à dire que, puisqu'ils étaient présents partout, c'était qu'ils représentaient ce qu'il fallait idéalement aux enfants.

       Quoi que je puisse produire, j'avais dû admettre que mes livres resteraient nouveaux, différents mais marginaux. Je devais me faire à l'idée que j'étais et serais toujours considéré comme un marginal, maoîste  trotskyste, gauchiste enfin... producteur de livres qui ne pourraient jamais recueillir l'adhésion du plus grand nombre.

Ainsi, par un habile stratagème purement commercial, ces investisseurs ensemenceurs de "produits ordinaires" avaient réussi à convaincre tout à la fois les parents et l'ensemble des Institutions de prescription que c'était l'importance de leurs chiffres de vente qui était l'indicatif garant de la qualité de leurs productions.

Confondre des résultats commerciaux avec des critères de qualité, voilà une tendance que j'ai souvent rencontrée. Hélas, elle était omniprésente aussi dans  l'esprit de la plupart des prescripteurs (trices) de type institutionnels. Leur besoin de se rallier au plus grand nombre, d'aller dans le sens du vent, de ne pas faire de vague... même si on peut les porter à leur excuse ne m'incitera pas pour autant à les porter à leur courage

 Comme je le disais plus haut, ce processus de falsification s'est accentué depuis la fin des années 70. Il correspond à une réelle stratégie, idéologique et commerciale, de conditionnement des esprits, déployée par ces financiers et leurs nombreux sbires du "royaume préservé et réservé, de droit divin". Un système échafaudé et imposé radicalement, sans état d'âme, aux libraires, aux petits éditeurs et au public en général, avec la rigueur meurtrière des processus d'étranglement coutumiers pratiqués par les spéculateurs magouilleurs de profits financiers.

Depuis cette date, de fil en aiguille, cette annulation des critères de qualité au profit des statistiques de ventes a eu pour corolaire et pour conséquence, de mettre en péril, jusqu'à les nier, les rôles indispensables que remplissaient auparavant, mais par intermittences, entre les périodes troublées de propagande outrancière propre aux guerres, le recensement et l'information sur les parutions et l'incitation à la réflexion critique sur les qualités de ces parutions.

Il faut dire que ces magnats de l'édition sont aussi des magnats de la presse écrite et audiovisuelle. Ils jouent sur du velours puisqu'ils tiennent les deux bouts de la chaîne. Sans recensement ni divulgation de toutes les parutions disponibles sur le marché, sans possibilité pour le public d'être informé et de choisir, et sans articles critiques idéologiquement polyvalents sur ces parutions, comment croire que des parents en quête de livres puissent trouver et choisir les meilleurs qu'ils souhaitent pour leurs enfants ?

Il m'est arrivé d'entendre, lorsque j'étais chez Grasset et que je proposais de mener une campagne à destination des enseignants pour faire connaître la trentaine de livres que je venais de publier, que les campagnes publicitaires à destination des enseignants n'avaient jamais rien rapporté, que les enseignants n'étaient pas un bon public de lecteurs et, dans le fil de ce raisonnement, énormité des énormités : « qu'il était dangereux d'éveiller la conscience des masses »

Il me parut alors évident que la stratégie des spéculateurs du "royaume de droit divin" était une stratégie en boucle. Dans un premier temps, il fallait, par différent moyens, dont celui du conditionnement des esprits, convaincre les masses populaires d'accepter de considérer la sous-production intellectuelle qui leur était fournie comme seuls livres de qualités. Puis dans un second temps, par différents autres moyens dont celui d'élimination du marché de toutes les autres propositions, d'empêcher le grand public, à n'importe quel prix, de prendre conscience de l'inanité des productions qui étaient proposées à ses enfants.

Or, comment mieux s'y prendre pour obtenir ces résultats, que de supprimer carrément les appareils de réception et de recensement des productions ainsi que les critères d'évaluation critique et les postes en charge de ces critiques?...

Rappeler que ces appareils existaient dans les organismes de la presse écrite et audiovisuelle, – avec plus ou moins d'efficacité cela va sans dire et même quelques dérogations lorsque ces régulateurs étaient parfois forcés par des achats de panneaux publicitaires imposant, en contre partie, des articles rédactionnels forcément élogieux –, semble nous ramener à une période révolue du pliocène qui n'aurait bientôt plus aucune chance de resurgir!

Curieusement, le développement des industries de communication qui ont plutôt tendance à favoriser  l'inter-activité et la participation des citoyens à leur information, ne semble pas du tout favoriser la réflexion, pourtant indispensable, qui devrait, à mon sens, être menée régulièrement sur les productions pour la jeunesse. Une sorte de "black out" règne qui dicte, tacitement, aux enfants par dessus tout ce que pourraient en penser leurs parents, d'une manière distractive mais toujours impérative : "Consomme et tais-toi !"

Nous privant de ce processus de réflexion et d'analyse par laquelle nos consciences s'affinent, ces financiers nous signifient catégoriquement que nous n'avons plus aucun mot à dire sur leurs investissements et sur les conséquences de ces investissements. Leurs injonctions nous privent de toutes les inter-activités d'importance que nous pourrions mener sur le fond pour nous donner, en pâture et par diversion, une qualité d'inter-activité qu'ils maîtrisent et qui les met à l'abri d'une reconsidération de leur processus d'enfermement.

Notre participation se limite à devoir considérer leurs résultat commerciaux, falsifiés par manque de concurrence réelle, comme s'ils étaient les seuls critères révélés par leur baromètre infaillible des qualités et des attentes populaires du public. Les tests-preuves des "produits idéalement conçus" pour être "idéalement reçus" par la majorité des gens.

Des résultats navrants mais qui s'imposent dans la consternation par non opposition, puisque soyons honnête, personne au final ne s'élève jamais pour les désapprouver.

Depuis mon arrivée dans ce "royaume de droit divin" je n'ai vu, pour ma part et d'autant mieux probablement que j'ai eu à en supporter les conséquences, que l'habile stratagème employé par l'impérialisme financier, (impérialisme national à souches internationales), qui consistait à feindre mais à obliger à penser, après avoir structuré et grillagé le marché à sa convenance, en vue de contrôler ses investissements sur ces productions et par un habile déplacement et camouflage des motifs intentionnels de création, que cet impérialisme financier faisait de son mieux pour satisfaire les expectatives d'accueils des enfants et de leurs parents.

En 1966, alors que je ne pensais pas à devenir éditeur, il m'a chaque fois été rétorqué lorsque j'ai présenté mes premiers livres aux éditeurs français, chez Hachette, comme Aux Presses de la Cité où chez Gallimard, que ces livres ne pourraient pas être appréciés par « le mauvais goût de la majorité populaire française »…Les trois personnes que j'ai rencontrées, responsables des décisions à la tête des départements jeunesse de ces trois grandes maisons, me signifiaient en somme que tout était joué une fois pour toute et que rien ne valait la peine d'être tenté. En défaveur des enfants, ces trois personnes transformaient les effets en causes et je suppose qu'ils pensaient réellement ce qu'ils disaient. Mais ils niaient bien entendu qu'ils subissaient et adhéraient au préjugé exploiteur de ce conditionnement, imposé par les règles de rentabilité du marché, pour alimenter et réalimenter plus sûrement leur marché.

 Inconsciemment ou non, comme Maurice Fleurant, ayant renoncé à toute ambition de briser ce conditionnement pour proposer d'autres qualités de livres que ceux "ordinaires", formatés, présents sur le marché, ces Directeurs de départements jeunesse  étaient devenus responsables, reproducteurs et reconducteurs de ce conditionnement puisque leurs postes ne tenaient qu'aux résultats des ventes et que ces produits "ordinaires" remplissaient, selon eux, leurs fonctions puisqu'ils "faisaient du chiffre" et rapportaient de l'argent.

Comment imaginer que ces salariés de l'édition puissent couper la main qui les nourrissait ? Comment imaginer qu'ils pourraient compromettre un système et des préjugés qui les maintenaient à leurs postes de pouvoir, sans dénoncer en même temps le stratagème financier qu'il recouvrait ?

A y regarder de plus près, il faut rappeler que cette stratégie subtilement perfide mise en place par l'impérialisme financier remonte à bien loin. Certainement après que Louis Hachette ait émoussé ses premières splendides innovations éditoriales en vue de vulgariser les connaissances pour, dans une deuxième phase, passer ensuite à une exploitation massive de l'imprimé sous toutes ses formes.

Si les périodes d'exploitations ont leurs avantages, elles ont aussi leurs inconvénients. Après la deuxième guerre mondiale, dès la reprise des activités, dans   la suite des découvertes et de la mise en application des procédés nouveaux d'imprimerie, parce qu'il était convenu de rattraper les années de privations, l'exploitation commerciale de l'imprimé a eu tendance à prendre le pas, par peur des idéologies de gauche, sur l'exploitation culturelle.   

Une chose me semble sûre : c'est depuis cette date que cet impérialisme financier n'a fait qu'imposer, progressivement mais inexorablement, le plus largement possible puisqu'il avait eu l'opportunité, de longue date, de s'implanter sur la plupart des terrains cultivables : des productions qui étaient schématisées, rassurantes, apaisantes, stéréotypées, facilement identifiables et facilement absorbables, dites "au goût du public" et que l'on a pu  considérer comme "ordinaires" puisqu'elles ne dérangeaient personne…

  L'appât du profit incitait tout simplement cet impérialisme financier, pour plaire au plus grand nombre et pour être plus productif, à céder à un engrenage évident qui consistait, et consiste toujours, à accentuer la banalisation de ses productions et à décourager l'instauration dans les média d'un appareil de réception critique.

La liberté du commerce étant un principe qui semblerait ne pas pouvoir être remis en cause, le "consumering" outrancier se taillant des parts de lion, la responsabilité de cette schématisation et banalisation des productions pour la jeunesse est plus à porter au compte de la volonté oppressive des gros producteurs que des appétences du public et particulièrement des prescripteurs (trices).

Ne nous trompons pas, ne prenons pas les prétextes invoqués par ces exploiteurs pour des raisons. Ne laissons pas dire, parce qu'ils sont conçus en tenant compte du respect et de la prudence que l'on doit aux enfants et en fonction de leur peu de capacités et de moyens à appréhender toutes productions, que ces "livres ordinaires"sont les seules adaptés et susceptibles de plaire aux enfants.

Si personne ne réagit, si personne ne s'insurge contre ces aberrations, ne serait-ce qu'au nom de la "santé mentale" des individus jeunes et sans défense face aux préjugés et aux conditionnements, c'est bien que nous acceptons de donner un blanc seing et de faire la part belle à des spéculateurs qui continueront d'ensemencer leur "royaume de droit divin" avec des montagnes de livres toujours plus insignifiants et toujours plus conditionnant. Des semences qui, on le sait, génèrent certainement du chiffre mais peu de matière grise et qui, effectivement neutralisent la conscience des individus!

Cet ensemencement ne donne que du foin ! Les instances financières le savent pertinemment. Leurs productions sont des mâtes faims qui ne peuvent que limiter, racornir et restreindre les aspirations et les attentes des masses populaires. Tandis que l'impérialisme financier n'a d'autres soucis que ses comptes bancaires, ses productions vendues à foison n'émancipent pas ces énergies potentielles des jeunes générations. Elles n'élargissent pas leurs perspectives, elles n'apaisent pas leurs soifs, elles ne les aident pas à conquérir leur égalité des chances…mais, par contre, lénifiantes à l'extrême, elles ne sont produites que pour amuser, bercer, entretenir,  endormir (Comme en témoignent les contes du Père Dodo à la Télévision) et jusqu'à pétrifier toute velléité d'aspiration à d'autres productions. En un mot : je pense l'impérialisme financier qui détient l'édition et la distribution des livres, la presse et l'appareils de réflexion critique, n'a aucun intérêt à ce que ces attentes potentielles des masses populaires se renouvellent et ces se portent vers d'autres horizons.

Mais le pire pour moi, fut de constater que cet ensemencement en productions simplistes, largement épandu à coup de produits dérivés distractifs (gadgets de toutes sortes, disques, films…) était presque unanimement agréé par les instances prescriptrices institutionnelles : les enseignants et les bibliothécaires. Qui aurait osé contester leur utilité ou leur nécessité, se voyait accusé d'offenses au génie français, à son intelligence et même à la nationalité de son goût. Le goût français ne pouvait être que celui qui appréciait ces productions "ordinaires" puisque ces productions "ordinaires" étaient l'émanation, le reflet et l'expression de ce fameux goût français. Par un tour de force propre à soutenir ses intérêts, les tenanciers du "royaume de droit divin" avait réussi à imposer à la doxa et à l'opinion toute entière, qu'il y avait un style français de littérature et d'illustration pour enfants et que, sur le marché français, ne pouvaient et ne pourraient jamais exister d'autres livres que ceux qu'ils fabriquaient.

A mon grand regret, au cours de ce colloque historiquement célèbre, dont la retranscription des actes sont encore consultables, colloque qui se déroula rue de Louvois, dans une annexe de la Bibliothèque Nationale, je pus constater, à la suite d'une interpellation dont je fus l'objet, par une bibliothécaire, Catherine Bonhomme, que je ne connaissais pas mais qui faisait partie de la cour de Geneviève Patte et de ses duègnes, que cette mentalité obtuse, restrictive et bornée que nous imposait les tenanciers de l'impérialisme financier était malheureusement fortement ancrée, dans l'esprit de beaucoup de prescripteurs (trices).

Face à ce qui m'était reproché avec tant de véhémence et même avec une sorte de rage rancunière, ouvertement et en public, par madame Bonhomme, je perdis, sur le moment, comme on peut le comprendre, mon souffle. L'attaque était une charge sotte et sans nuance. Aussi spontanée qu'elle ait pu me paraître puisque j'en fus interloqué, je maintiens qu'elle avait été préméditée. Elle était le résultat d'une concertation. Avant de m'inviter, les duègnes de Geneviève Patte s'étaient distribuées les questions qui fâchent pour me déconcerter en public.

En vérité je fus tellement choqué par cette interpellation – il faut se reporter à la retranscription des actes de ce colloque de la rue de Louvois daté de mars 1974 pour le comprendre –, que j'en conclus qu'elle était représentative du cœur et du noyau central des bibliothèques de Paris et de l'intelligentsia française. On ne m'avait pas invité pour que je m'exprime mais pour m'agresser et que je me défende. Et on me signifiait en somme que je n'avais pas les pieds sur terre, que je n'étais pas des leurs et que je n'avais rien à faire dans ce "royaume de droit divin".

A l'issue de ce colloque, alors que ma réécriture du  "Petit Poucet" allait être très prochainement publiée et qu'on m'accuserait de « politiser les enfants », ma conclusion fut sinistrement désabusée : l'attitude d'hostilité manifeste de ces bibliothécaires parisiennes m'induisit à penser que, dans la conscience collective française, un amalgame désastreux et irréparable s'était installé entre, d'une part, la négation des capacités intellectuelles des enfants de la majorité populaire et, d'autre part, la simplification réductrice des productions qu'on destinait à cette majorité populaire.

Cette spirale de dénigrement ressemblait à du paupérisme fatalitaire : Le monde était tel qu'il était parce qu'il ne pouvait pas s'empêcher d'être autrement. On tenait à me faire comprendre comme on me l'avait précédemment dit à Meudon, en 1970, pour réfuter le prince noir d'Alala et les télémorphoses : « Pas de ça chez nous ! » Et ce « chez nous » me signifiait bien entendu, mais implicitement, que je n'étais pas chez moi et que les mentalités françaises sur ce que devaient être un livre, une littérature et des illustrations pour enfants, étaient justifiées et profondément enracinées et, qu'en l'occurrence, il valait mieux que je jette mes gants et que je ne me risque plus à perdre mon énergie en un combat titanesque.

On me disait fermement qu'à moins d'un déconditionnement de tout le "royaume de droit divin", je ne pourrais voir mes livres s'imposer sur le marché aux côtés des productions"ordinaires".

Même si Catherine Bonhomme n'en était que le prétexte, je peux aujourd'hui dire que je fus décontenancé, découragé, et désespéré même, par cette charge qui venait, je vous le rappelle, deux ans après la charge anathème de François Dolto. Catherine Bonhomme n'était que le bouc émissaire de la coalition des duègnes qui derrière Geneviève Patte et Isabelle Jan avaient approuvé la charge de Françoise Dolto.

Pourtant et malgré ces deux lourdes charges, dès ce moment-là et encore avec plus de conviction que jamais, je pensais à part moi, que tôt ou tard, il faudrait bien que les prescripteurs (trices) se solidarisent, non pas pour ce rallier comme c'était le cas à des préjugés d'un autre âge favorisant une ségrégation dont les fondements étaient surtout commerciaux, mais pour qu'ils, et qu'elles assument, en prenant quelques risques, leur fonction d'éclaireurs et d'éclaireuses de sentiers battus, en se donnant pour objectif d'élargir les horizons d'attente des enfants.

En un mot, j'espérais un miracle et que ces prescripteurs et prescriptrices privilégiés, touchés par la grâce, s'insurgeraient, un jour, contre ce mépris abusif manifeste que témoignaient, à l'égard des aspirations des jeunes générations et des perspectives d'une société de renouvellement, des profiteurs avides et bornés, maîtres d'un système oppressif de pratiques commerciales digne du Moyen âge.  

          En quoi les livres pour enfants" ordinaires" vous paraissent-ils insupportables ?

F.R.-V. Je n'ai pas d'aversion pour ce que vous appelez les "livres ordinaires" et plaide pour qu'ils continuent d'exister aux côtés, de ceux qui existent mal. Ou de ceux qui n'existent pas réellement puisqu'ils ont été censurés dans l'œuf, ou dès avant leur conception. Ou même de ceux encore qui, après avoir été publiés, sont occis du marché par l'intermédiaire du gibet, catégorique et illégal, de l'exclusivité de distribution.

J'ai toujours plaidé, pour ma part, puisque je vous rappelle que ce fut en gros la motivation essentielle de ma première incursion dans ce "royaume de droit divin" pour une qualité de livres bien particulière : celle des livres qui n'existent pas mais qui pourraient exister.

 On n'attire que bien trop rarement l'attention des parents et des prescripteurs en général sur la fonction que pourrait et devrait jouer l'appareil, (public et privé), de réception et de fonction critiques (celui qui doit exister dans la presse écrite, parlée et audiovisuelle). Lorsqu'il m'arrive d'en entendre parler, c'est toujours pour percevoir des lamentations. La doxa, manœuvrée en sous mains par l'impérialisme financier, n'a de cesse de nous répéter, pour nous convaincre, qu'en matière de productions pour la jeunesse, cette fonction de l'appareil critique n'est pas rentable et que, si elle n'est pas rentable, c'est qu'elle n'est pas nécessaire et encore moins indispensable à la majorité des gens... L'astuce est énorme mais elle passe. Je connais peu de gens qui s'indignent de ce manque d'informations et de réflexion sur les productions pour la jeunesse. Et je connais encore moins de gens qui soutiennent les quelques revues qui s'impriment pour défendre la cause et la diffusion de livres de qualités différentes de ceux qu'on trouve en abondance sur le marché.

Par contre, j'avoue, pour ma part, n'avoir jamais pu admettre que les articles critiques, dans les rares cas où ils pouvaient paraître, s'imposent et se défendissent de devoir n'être et ne rester toujours que positifs. Manière assez couarde, il me semble, pour les personnes chargées de la critique de ne pas s'exposer à blesser l'amour propre des tenanciers du "royaume de droit divin" et de leur laisser la main et le champ libre. Au nom de ce principe de positivité, toute une partie du champ de la réflexion est ainsi occulté ! Et cela n'est pas sans dommage !

Dans ces milieux de prescription autorisée et accréditée ou la critique se résume souvent à une fiche explicative de lecture –  bulletins de "la Joie par les livres" ou des "bibliothèques pour tous", il est convenu, parce que l'on craint les réactions de l'impérialisme financier, qu'on ne doit pas parler de ce qu'on n'aime pas. Ce qui signifie, qu'en sous main, sans y paraître, en feignant de ne pas le savoir mais en le sachant très bien, ces organismes qui s'annoncent comme de soutien et d'encouragement à la lecture, (d'autres qui paraissent moins importants sont beaucoup plus efficaces : celui de Denise Escarpit, Nous Voulons Lire à Bordeaux par exemple), laissent à cet impérialisme financier toutes latitudes pour exploiter à sa guise les terrains de son "royaume de droit divin". 

Je sais de quoi je parle puisque j'ai été, de tous les éditeurs et directeurs de collection, celui qui a essuyé, sur le plan professionnel et sur le plan intime, le plus grand nombre de critiques négatives alors que je n'ai jamais rien entendu de déplaisant, sur le plan professionnel et encore moins sur le plan intime, de Maurice Fleurant (Hachette), de Claude Nielsen (Les Presses de la Cité), de Jean-Jacques Nathan, Philippe Schuwer et Isabelle jan,(Éditions Nathan), de Jean Fabre ou de son directeur artistique Hubschmidt (L'École des Loisirs), ou de Pierre Marchand (Gallimard Jeunesse)…Et je ne parle pas de celles qui, sous forme de conseils professionnels, couraient lâchement sous le grand manteau sournois de "la Joie par les livres". Voilà un organisme qui, parce qu'il est  inféodé et "arrosé" par l'impérialisme financier, est devenu, quoiqu'il s'en défende, le meilleur soutien de recommandation et le meilleur diffuseur-propagateur de toutes ces productions rassurantes, insipides, stéréotypées et dépersonnalisées que l'on peut trouver sur le marché.

Je maintiens donc que c'est  par omission, pour ne pas vouloir prendre le courage de parler des productions "peu ordinaires", parce qu'on supposait qu'elles n'allaient pas plaire à la majorité des français, parce qu'elles n'entraient pas dans le moule des productions "ordinaires", que la plupart de ces prescripteurs (trices) patentés (ées) qui auraient pu faire l'effort de les soutenir, au besoin en prenant quelques petits risques, les renvoyait aux rebus, aux soldes et parfois même au pilon, tandis que n'étaient soutenues de ce fait, puisqu'on leur laissait implicitement le champ libre, que les productions les plus "commerciales" des éditeurs s'affichant comme traditionalistes.

Qu'on me pardonne si mes critiques déplaisent. A mon excuse je peux rappeler qu'on ne m'a pas épargné. Mon analyse, qui prend consciemment le risque de s'exposer à des contradicteurs, est de principe pur. Je crois devoir dire ce que je pense et, dans cette intention, je dois faire remarquer que ces "productions ordinaires" qui ont pour volonté de ne pas autoriser" les productions peu ordinaires" m'ont toujours parues empreintes d'une  double nocivité.

          1. La première étant que, par adhésion majoritaire à des productions aseptisées, banalisées, "normalisées", "désubjectivisées" et "dépassionnalisées"( terme barthien)  les enfants acquièrent une idée fausse de la fonction symbolique d'expression. Fonction pour moi cruciale qui, au nom du principe de précaution et de différentes pudeurs religieuses, se voit considérée comme tabou, c'est-à-dire qu'elle est complètement refoulée, reléguée, marginalisée, niée, et même complètement effacée. Fonction par contre que je considère comme essentielle puisqu'elle fait partie de nos pulsions de vivre, qu'elle est un des moteurs de nos pensées et de nos actions et l'une des plus importantes manifestations parmi toutes nos capacités de mentalisation, d'intellectualisation, de spiritualisation et de sublimation de notre humanité.  

          2. La seconde étant que les producteurs de ces "livres ordinaires" ne cessent de clamer ouvertement, ou font clamer, par des promoteurs (trices) patentés (tées) de la "grande presse", celle qui modèle l'opinion, celle qu'ils subventionnent et leur est affiliée, qu'ils sont les seuls dignes reflets représentatifs de ce que la majorité des gens peuvent appréhender, apprécier et souhaiter.

Dans ce lot de promoteurs (trices), tous salariés (riées) pour répandre et imposer cette mentalité et la faire passer comme fatale et inexorable, je n'oublie pas, bien entendu, les attachées de commerce qui, pour mieux dissimuler leurs attributions mercantiles, préfèrent toujours se présenter, en essayant de faire passer leurs argumentaires de vente pour des articles critiques, comme des "attachées de presse"…

                             F. Ruy-Vidal ( Mai 1984)

 




23/03/2007

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