RUY-VIDAL CONCEPTEUR D'ÉDITION

RUY-VIDAL CONCEPTEUR D'ÉDITION

7. LES IMAGES LIBRES 2EME PARTIE DE L'INTÉGRALITÉ DES MESSAGES ÉCHANGÉS

7. LES IMAGES LIBRES. SEPTIEME ET DERNIER ÉPISODE.

 

DES INFORMATIONS DIVERSES

QUE J'AI CRU BON DE FOURNIR A LOÏC BOYER

DE 2016 A 2021

EN PRÉPARATION DE SON LIVRE LES IMAGES LIBRES

 

 

 

DEUXIEME PARTIE

 

 

2020/07/24 DE LB

 

        Bonjour François,
        de retour de Bretagne je me penche sur mon courrier en retard et te propose mes plus plates excuses pour t’avoir laissé sans réponse.
        Tout va très bien par ici et j’espère qu’il en est de même sur ta montagne.
        Je travaille trop peu à mon goût mais la perspective que ma fille parte deux semaines en août me laisse entrevoir une parenthèse laborieuse que je consacrerai au livre exclusivement. J’ai déjà pris du retard… L’exposition à Lyon aussi qui sera probablement décalée début 2022 pour des raisons liées à la pandémie. La sortie du livre pourrait suivre ce décalage. Rien d’affolant, mais voilà. Je suis ces jours-ci à me documenter sur les années Delpire, c’est-à dire la courte période (1957-1969) pendant laquelle il a publié quelques albums pour les enfants.
        Je pense à toi, je parle de toi. Loïc


2020/08/14 A LB

 

        Contrairement à ce que tu penses, mon silence n’est pas revanche et monnaie de ta pièce mais scrupules, doutes et hésitations.

 

        Après ce qui m’est arrivé avec Cécile Vergez-Sans : 3 ans de correspondances que j’ai cru bon d’entretenir pour lui faire prendre conscience de ce dont elle ne pouvait avoir notion et que je pouvais seul lui fournir – cela sans obligation de me croire mais pour étayer ses thèses –, avec, pour résultat, en apothéose, son dernier article, paru dans Mémoire du livre, pétri de falsifications …

 

        De quoi jurer de ne plus me prêter à de telles manipulations !...

 

        Un incident qui n’était pas le premier mais qui a confirmé ce que je savais déjà pour en avoir été victime : le peu de confiance que l’on doit avoir envers ces dames (parmi lesquelles beaucoup de femmes instruites dans des institutions catholiques de formation de bibliothécaires) qui, voulant se faire un nom dans ce petit domaine réservé qu’est la littérature pour la jeunesse, où la déontologie ségrégationniste est bien loin de ressembler à une déontologie journalistique, sont prêtes à n’importe quelles outrances pour réussir à s’imposer comme des spécialistes incontestées...

 

          La Phalocratie régnante leur donne un os à ronger, un os pour chien, et elles s'en font un osso buco en se prenant pour des chefs étoilés !

 

         Cécile Vergez-Sans rejoint là ses antécédentes en la matière : Anne Schlumberger-Doll et Geneviève Patte, Marie-Claude Monchaux et Françoise Dolto et, bien entendu, cette dame avec qui tu fricotes un brin, du moins aux Éditions Didier la célèbre binaire, Cécile Boulaire.

 

        Tout cela pour te dire que j’avais de quoi avoir envie de me taire !

 

        D’autant plus qu’avant cela, Marie-Pierre Liteaudon m’avait fait le même coup !...

        Ce qui, réflexion faite, était bien normal puisqu’avec Cécile Vergez-Sans, elles se réfèrent toutes deux, par nécessité d’ascension hiérarchique et d’approbation de clan, à la revue Strenae qui est leur exutoire. Revue qui, comme tu le sais, dépend encore et aussi de la Binaire-Boulaire.

 

        Ton silence n’a fait que m’inciter au questionnement.

 

        J’ai même alors pensé que les silences étaient parfois nécessaires.

 

        Il est vrai que par ailleurs, les documents que je t’avais fournis, pour te faire comprendre où tu mettais les pieds et les risques que tu courais en t’engageant dans ce domaine où la plupart des femmes se prennent pour des reines des abeilles, avaient de quoi t’étouffer…

 

        C’est après avoir entendu ta communication à Kateb Yacine et en liaison avec les échanges de mails que j’avais eus avec la responsable des éditions Didier à propos de l’avant-gardisme, que m’est venue l’idée de t’inciter à fouiller un peu plus profond – méthode héritée de Marc Soriano, d’Isabelle Nières-Chevrel, d’Annie Renonciat et surtout de Michèle Piquard – dans les arcanes des motivations d’édition.

 

        Dans celles des éditeurs bien sûr, mais aussi dans celles des auteurs et des illustrateurs... et encore mieux dans celles de toutes ces femmes qui, liguées entre elles, se chargent, ou sont chargées, dans des cadres institutionnels nationaux de la culture et de l'éducation, ceux de la prescription-proscription des livres pour enfants et pour la jeunesse plus précisément, au prétexte et avec la conviction qu'elles vont pouvoir, de ces postes et selon leurs attributions, protéger les enfants et défendre leur féminisme...

       Car c'est bien là que j'ai rencontré le plus d'embûches et de contradictions à constater que la plupart de ces femmes ne sont pas conscientes qu’elles sont macquées, à la base, par un endoctrinement de principe, et donc sous l'emprise du machisme sexiste de la hiérarchie catholique qui scie, par inculcation et immersion systématique, dès la prime enfance, toutes possibilités de reconsidération à la fois du statut de la femme et de celui de la littérature pour la jeunesse.

 

       Un endoctrinement et une emprise qui ont, puisqu'il s'agit de notre culture judéo-chrétienne millénaire, l'aval de l'opinion publique, alors qu'ils ne sont en fait que paupérisme de commisération et populisme idéologique.

 

        Parmi ces femmes, je te fais remarquer que même celles qui ont choisi de ne pas être mères, cas de Geneviève Patte, de Marie-Pierre Liteaudon, et de Cécile Vergez-Sans... raisonnent comme si elles savaient, au mépris de toutes les sciences pédagogiques et de la connaissance, parce qu’elles ont les organes adéquats pour être potentiellement des mères, mieux que n’importe quel homme, fut-ce-t-il pédopsychiatre ou psychopédagogue, ce qui est bon pour les enfants…

 

        J’avoue avoir regretté, suite à ton silence, t’avoir envoyé ces documents et avoir juré de ne plus t’en infliger.

 

        Promesse non tenue puisque je recommence aujourd’hui.

 

        Pensant néanmoins que tu feras ton bien de ce que je t’envoie... Ton bien ou pas d'ailleurs!... Selon, comme je l’ai fait remarquer à Hélène Valotteau, tes dispositions et capacités de jugement, tes gouts, tes choix et ta stratégie de réussite dans les voies que tu as choisies.

 

        La seule chose d’importance étant pour moi que tu ne divulgues pas ce que je te donne sans mon autorisation ou celle, après ma mort, de mon légataire.

 

        Cela mis à part, pour en revenir à mon silence, je te dirai que chacun de nous a ses obligations et que dans ce sens, je ne suis pas différent de toi.

 

        Par contre, question d’âge, pour le cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je te rappelle que je vais avoir 90 ans et qu’en conséquence je suis plus lent que toi et moins facilement motivé pour répondre aux sollicitations.

 

        D’autant plus gravement d’ailleurs que je n’attends plus, maintenant, rien de personne ni de la vie. Je commence à planer.

       C’est-à-dire à perdre la notion du temps, à ne plus pouvoir me souvenir du passé, sans perspectives et avec un avenir sans horizon…

 

       Le projet même que j’avais fait en février dernier de me rapprocher pour un mois de mon vieux copain de Théâtre qui vit à Agay en bordure de mer, contrarié par la pandémie, a complètement volé en éclats…

       A quoi bon revivre cette vieille amitié !...

       

       Dérisoire mais cruel : Mon lave-linge m'a lâché aussi !... Et j’ai dû le changer… 

 

       Puis c'est ma caisse, une Clio, 180 000 km, qui, après un contrôle technique, a été jugée et condamnée “bonne pour la casse”...

 

       Les choses meurent ainsi, un jour ou l'autre...

       Et je mourrai bientôt parce que j’ai assez vécu… Cela fait partie des probabilités même si, avec toutes mes déficiences et incapacités, je me crois encore, sans être parvenu pourtant à l’Académie, immortel et éternel.

        On a beau se croire et se vouloir insubmersible... Un jour, prochain, j’aurai à faire mon dernier salut.

 

        Pour l’instant cependant, dans ce silence que tu as perçu, je suis donc préoccupé d’essayer de retrouver une petite voiture (3 portes, à essence, boite automatique) qui me permettra de pouvoir continuer, encore, pendant quelques mois, à rester autonome et indépendant même si j’ai de plus en plus de mal à marcher.

 

        Je n’ai fait que survoler une dernière fois, pendant ce temps de silence, en supposant que ton livre prendrait du retard, les trois articles étouffe-chrétien que tu connais et les ai corrigés, reprécisés et rallongés, en fonction de souvenirs qui me revenaient au cours de leur relecture :

 

        -- celui relatif au père Cocagnac;

 

        -- mon droit de réponse aux conneries débitées par Cécile Vergez-Sans pour Mémoires du livre ; 

 

        -- et, plus particulièrement, cette longue lettre à Viviane Ezratty dans laquelle je lui parlais des raisons qui m’avaient obligé à me séparer d'Harlin Quist à cause finalement de ce qu’il était et ne pouvait s’empêcher d’être.

 

        Lettre réécrite plusieurs fois, au fur et à mesure que les souvenirs me revenaient, dans laquelle, pour la première fois, je parle crument de son équation personnelle, en établissant, presque cliniquement, sa fiche signalétique précise, dont l'histoire du Galion avait servi de révélateur...

 

         Choses intimes dont j'avais juré de ne jamais parler... et dont je ne t’ai envoyé, si je me souviens bien, qu’une version que je considère maintenant comme un brouillon…

 

        Je pense et peux dire en somme que mon silence répondait à un écœurement et à un dégoût de ce que l’on m’avait forcé à vivre !

 

        J’ai eu alors le sentiment que les quelques personnes avec qui je correspondais (cinq en tout dont tu fais partie) n’attendaient de moi que des explications de justifications sur le “pourquoi j’avais fait ce que j’avais fait”… Et j’ai eu une nausée.

 

        Avec une envie de vomir en revivant cette partie de ma vie passée, dans ce domaine réservé que représente les productions pour la jeunesse, à lutter contre le suprématisme et le conformisme de notre culture catholique prétentieuse qui, pour paraître, parce que de souche, seule valable, ne fait que mépriser, dévaloriser, discréditer et étrangler, en sous-main, mine de rien, sous couvert d’une laïcité orientée et dirigiste, en gardant les mains blanches, toutes les autres cultures aussi légitimes que le sienne.

 

        Et le désir de me taire m’a pris, car finalement, j’avais l’impression, même avec ces 5 personnes qui m’accordaient de l’attention, d’ennuyer tout le monde avec des préoccupations qui n’intéressaient pas grand monde...

 

        Voilà pourquoi, ton silence s’ajoutant aux torpeurs de la canicule, j’ai décroché pour m’occuper de défendre mon autonomie, mon indépendance et ma survie, afin d’échapper à cette nécessité d’avoir toujours à me justifier.

 

         Tout en éprouvant cependant, malgré cette nausée, le besoin encore de revenir aux sources, à 1964, pour m’expliquer à moi-même pourquoi j’avais éprouvé le besoin, moi qui avais joué dans l’Espagnol courageux de Miguel de Cervantes, d’enfourcher la monture de Don Quichotte pour partir en guerre contre ces moulins à vents que constituaient les bastions du conformisme prêchi-prêcha des productions pour la jeunesse.

 

 

 

1959

 

 

        Prendre la décision, alors que je m’occupais de “Théâtre pour jeune public”, de faire du neuf en matière de théâtre pour enfant, alors que personne ne me le demandait, était une initiative et une ambition bien au-dessus de mes capacités et de mes forces... Pourtant, rechercher des auteurs modernes (Ionesco, Duras, Brisville, Becket) qui pourraient nous sortir du conventionnalisme bêtifiant traditionnel qui existait alors, me semblait impératif.

 

        Une cause d’engagement à vie et un sacerdoce !…

 

        Période cruciale car elle correspondait à mon arrivée à Paris, j’avais 33 ans, l’âge de la mort du Christ et de sa résurrection, lorsque je m’engageai au Théâtre de la Clairière, et je voulais croire, après le saccage des projets d'action culturelle que nous avions échafaudés sous l’égide de Christiane Faure, belle-sœur de Camus, en Algérie, dans le sillage d'Albert Camus, que j’allais pouvoir, tout de même, encore, rassembler mes capacités et mes forces et recommencer encore à servir, selon mes convictions et mes faibles disponibilités, à améliorer l'attention, l'intérêt, l’ouverture d’esprit, le contrôle réflexif, le libre arbitre et, en même temps, le droit et la cause, des enfants.

 

         Je m'étais dit une fois pour toutes que c'était par les enfants, et seulement par eux, que l'on pouvait espérer changer le monde !

 

1963

 

Lors d'une tournée à Nancy (Place Stanislas) la troupe du Théâtre de la Clairière au petit déjeuner, 7 comédiens et moi-même qui les photographie...

 

        Toutes mes rencontres, au cours de cette recherche de textes contemporains de théâtre, y compris les rencontres négatives et décevantes que je fis –  celle avec Mathilde Leriche, entre autres, une des responsables des orientations du Théâtre de la Clairière qui fonctionnait sous l'égide des CEMÉA ( Centre d'Entrainement aux Méthodes d'Éducation Actives)–, forgèrent en moi, malgré tout, la foi que j’avais en ces diverses options de régénération qui me vinrent à l’esprit, ce que j’ai appelé des ambitions simples qui, pédagogiquement, furent le point de départ de  mes engagements à servir le théâtre pour Jeune Public puis la littérature pour la jeunesse.

 

        Car, dans mon esprit, rencontres négatives et rencontres positives sont sœurs siamoises et nous sont toujours, quoi que nous en pensions, offertes et mises à notre disposition – à condition que nous les considérions et acceptions de nous y confronter –, pour nous dynamiser.

         Même si, comme cela nous arrive souvent, nous avons plutôt tendance, puisque nous n’y adhérons pas, à passer sous silence les rencontres négatives et répulsives, en les considérant pour rien et comme si elles n'avaient eu aucunes conséquences déterminantes sur notre comportement…

 

        Pour ma part, en apportant la preuve, le dernier article de Cécile Vergez-Sens me permet de mieux comprendre que c'est en refusant et en se distinguant de ce qu'on désapprouve, qu'on affirme le mieux son individualité !...

       Les contrepositions nous servent de révélateurs !... Nos nous affirmons contre, par refus d'adhérer à des propositions qui ne nous agréent pas !

       J'ai fait cela souvent dans le passé car c'est presque toujours lors de rencontres négatives, au cours de confrontations opposées et désapprobatrices que, par refus d'adhérer à, et d’entériner ce qui me révoltait – des préjugés, des idées reçues ou “toutes faites” visant à généraliser pour mieux s'imposer –, que j’ai eu le plus vif sentiment d'avancer dans la voie que j'avais choisie, en retrouvant en moi-même, de la manière la plus sure, dans une sorte de fidélité à moi-même, les arguments justifiant mes désapprobations et mes désaccords et, bien entendu, les options qui me permettraient de trouver une autre manière de raisonner et d'agir.

 

        Quoiqu’il en soit, je peux fermement dire que, parmi toutes ces rencontres diverses que je fis, quatre d’entre elles qui n’étaient pas, à première vue, évidemment positives, furent majeures pour moi et précisément révélatrices et déterminantes pour m’orienter à m’engager dans ce que je voulais faire...

 

       C’est en tout cas, à partir d’elles, que je pus affermir mes potentialités et que je pus commencer à établir les fondations-bases de ce court et chaotique parcours professionnel que je fis en édition.

 

        Parcours que j’ai appelé, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur ma volonté téméraire de forcer la porte d’entrée du cercle fermé de ces héritiers de l’édition de papa, favorisés de la société française de caste, Un parcours d’ambitions simples.

 

        1. La première de ces quatre rencontres est à mettre au compte d’un poète, celle que je fis inopinément avec John Ashbery, au Flore, autour d’un numéro de la revue Bizarre sur Raymond Roussel, auquel il avait participé sous la direction d’un éditeur anticonformiste et d’avant-garde, Jean-Jacques Pauvert.   

 

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                      Raymond Roussel âgé de 3 ans (portrait carte-de-visite des studios Wilhelm Benque, Paris).

 

        Ce numéro spécial de Bizarre que je venais d’acheter à la Hune, la librairie typiquement germanopratine puisque située près des deux brasseries célèbres de Saint Germain des Près Le Flore et des Les Deux Magots et que je dévorais parce qu’il était spécialement consacré à Raymond Roussel...

 

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        John Ashbery, poète américain, qui vivait à Paris, qui connaissait et aimait notre littérature, plus particulièrement la poésie, et tous nos auteurs, dont le père avait fondé Arts News, était lui-même un des fondateurs de ce qu’on appelle encore l’École de New York.

       De nos entretiens naîtra en moi le désir d’encourager, en illustration, ce que John Ashbery cherchait à exprimer en poésie, par les mots et par ce qu’ils ne pouvaient pas dire mais suggérer seulement…  C'est-à-dire, derrière le monde réel et bien visible, l'autre monde... celui qui s'apparente à l’impalpable, l’insoupçonnable, l’insondable, l’invisible et à l'imaginable…

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        Raison qui me fit demander plus tard aux illustrateurs, chaque fois que le courant passait entre nous, de ne pas se contenter de copier la réalité et le monde visible et de ne pas se limiter à sa figuration mais de s’attacher à cerner plutôt cet impalpable de la vie... Ce qui, immatériel et seulement pressenti, se cachait derrière les idées que nous pouvons en avoir, afin d’en réaliser des synthèses graphiques.

 

          2. La seconde de ces rencontres, à la fois mi-négative et mi-positive, est celle que je fis avec Nicolas Genka, un copain du Flore qui faisait, comme moi, partie, avec Patrick Mac Avoy, de “la bande de la d’Eaub” (Françoise d’Eaubonne, féministe, lectrice-éditrice chez René Julliard, amie de Simone de Beauvoir, de Violette Leduc et de Nathalie Sarraute), que j’avais contactée pour qu’elle adapte, en pièce de théâtre, un des romans d’aventure qu'elle avait écrits pour adolescents Le gabier de Surcouf ou Les Fiancés du Puits-Doré.

 

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        Nicolas Genka était l’auteur de deux romans qui avaient fait grand bruit “l’épi monstre” et “Jeanne la pudeur”, publiés aux Éditions René Julliard grâce à Françoise d’Eaubonne lectrice-directrice de collection chez Réné Julliard, et le premier auteur que j’ai directement sollicité en prenant des risques puisque je ne m’étais pas encore engagé officiellement et professionnellement en édition.

 

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       Cela se passait peu de temps après ma rencontre avec Harlin Quist, en octobre 64, et Nicolas Genka est donc le premier auteur pour qui j’ai établi, en 65-66, mon premier contrat d’édition alors que ces deux premiers romans, L'épi monstre et Jeanne la Pudeur, jugés dangereux et nocifs, avaient fait scandale et écopé du Comité National de Censure, une condamnation sévère qui les interdisait, pour trente ans, d’exposition à la vente et de vente au public.

 

        Nicolas Genka honora ma commande. Il écrivit pour moi, comme je le lui avais demandé, non pas un récit pour enfants mais pour adolescents, qui avait pour titre la baleine de Nantucket”. Texte que j’aimais beaucoup et que j’aurais facilement et fièrement publié mais que j'ai finalement rejeté parce que, se croyant malin, Nicolas Genka, sans me le dire, avait cru bon de demander, à Roland Rolland, fils du célèbre René Moreux, (éditeur, auteur, directeur de collection aux Éditions communistes Vaillant) d'illustrer son texte en imitant les dessins d'enfants.

 

        Pas question pour moi de m’engager dans ce genre d’illustrations !

 

        Je ne publierai jamais d’illustrations imitant les dessins d’enfants !

 

        La Baleine de Nantucket fut donc reprise par notre ami commun Christian Bourgois que lorsqu’il eut, à la fin de sa collaboration chez René Julliard, après un passage chez Grasset, pris son envol en créant une structure d’édition aux Presses de la Cité... Et  cette Baleine de Nantucket ne fut publié qu’en 1968, dans une collection de poche plutôt banale, qui n’était pas la célèbre 10 x18, sous le titre de L'Abominable Boum des entrepôts Léon-Arthur, avec une couverture carrément minable, illustrée d’un de ces dessins naïfs exécrables réalisés par Roland Rolland.

 

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        3. La troisième de ces rencontres fut celle que je fis avec Michel Tournier, mais immatériellement, puisque je ne le rencontrerai en chair et en os, qu’en 1974, soit dix ans après qu’il m’ait sollicité, par l’intermédiaire de Patrick Mac Avoy, dont il était, sans que je le sache, ami-amant, et de son agente Mme Quet... Michel Tournier n’avait encore rien publié et il s’occupait à ce moment-là de publicité.

         Mme Quet, qui croyait fermement en lui, donnait alors son premier roman l’Histoire de Robinson et de Vendredi comme un chef-d’œuvre alors que pour ma part, sans vouloir même le lire, je détestais l’idée d’une restitution-reconstitution de cette histoire que j’avais toujours jugée, depuis mon enfance, comme étant bâtie autour d’une commisération colonialiste...

 

        Aussi avais-je répondu à Mme Quet : « Pas question pour moi que je m’implique dans une robinsonnade !»

 

        En fait, Michel Tournier qui avait été mis au courant par Patrick Mac Avoy de mes démêlés avec Nicolas Genka à propos des illustrations de Roland Rolland, souhaitait que je prenne en charge l’illustration de son premier livre, cette histoire de Robinson et du sauvage Vendredi sur l’île déserte.

 

        Ma réponse nette et précise ne m’empêcha pas pour autant de conseiller à Mme Quet de prendre plutôt un illustrateur plus introduit dans le métier de la littérature pour enfants, Pierre Joubert par exemple, celui qui avait illustré les romans scouts teintés d’homosexualité de la série Prince Éric de Serge Dallens, ou mieux encore Paul Durand, celui qui avait illustré le Message aux enfants du Général de Gaulle…

 

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        Mais, pas question pour moi de me prêter à une robinsonnade !…

 

        Qu'à cela ne tienne !... Tournier tenace et insistant, Mme Quet me reproposera alors qu’il était en cours d’écriture “le roi des aulnes” que je refusai encore mais en comprenant cette fois que je devais son insistance au lien qui le liait à Patrick Mac Avoy et pour ses beaux yeux.

 

        En fait, ce que je compris alors était que Michel Tournier se faisait tailler le portrait par Edouard Mac Avoy, père de Patrick, portraitiste célèbre de l’époque et même du Général de Gaulle et que par ailleurs, j’étais soutenu et valorisé, à cause de ma fréquentation aux cours de l’École d’art dramatique Charles Dullin au TNP, par deux de mes condisciples : Dominique Mac Avoy, sœur de Patrick, et Denyse Rolland, amie de cœur de Patrick...

 

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        Denyse, belle et pure, blonde et satinée comme les blés, étant la plus proche de moi puisqu’elle était souvent, sur propositions de nos professeurs, ma réplique dans les scènes de théâtre que nous travaillions au Cours Dullin (Ophélie lorsque j’étais Hamlet ou bien mieux encore Eve quand j’étais Dieu le père… etc…)

 

        Tout cela sans chercher à savoir quelles étaient les raisons de leur intérêt pour moi et sans chercher à connaître dans quel panier à salades vivait tous les membres de cette famille Mac Avoy, dont les mœurs dissolues, quoique discrètes, mais plus compliquées qu’elles paraissaient à première vue, étaient connues du tout Saint Germain des Près.

        Patrick Mac Avoy était écrivain – “Enfant terrible” selon Jean Cocteau –, et l’auteur d’un livre sulfureux Les Hauts fourneaux, qui avait aussi été publié comme ceux de Nicolas Genka, par Françoise d’Eaubonne chez René Julliard.

      C’était un beau petit mec très sympa, fils à papa que j’estimais beaucoup mais sans le prendre au sérieux... Certainement parce qu’il avait hérité, de son père Edouard Mac Avoy et de sa mère Anne de Neuville, que l'on baptisait, selon les termes de l'époque, en disant qu'ils étaient “bique et bouc” ou bien “ à voile et à vapeur” … d’un laxisme sexuel décontraté qui était totalement contraire au rigorisme pudique et honteux que m'avait inculqué mon éducation catholique...

         Dire que je préférais garder mes distances étant un faible mot puisque, sur ces plans-là, ceux de la sexualité et de ses pratiques, sans reprocher quoi que ce soit à personne cependant, ni à Françoise d'Eaubonnene, ni à Nicolas Genka, ni à Patrick Mac Avoy, ni à personne d'autres d'ailleurs, j'assumais stoïquement mes réserves et ma différence en préférant rester sur la touche de toutes ces licences qui me semblaient être des fausses libertés.

          Rester sur la touche, en marge, protégé de ces libéralités galvaudées qui me paraissaient être, probablement en raison de ce que j'avais vécu en Algérie au cours des 3 années passées dans l'armée, des pertes de temps et d'énergie à des futilités sentimentales alors que la vie me paraissait plus gravement importante.

          Patrick Mac Avoy, qui jouait les Rimbaud, était pour moi la brebis égarée, un petit frère perdu mais qui avait l'air de se bien porter et dont je n'avais pas envie de me préoccuper. D'autant plus que j'avais appris par Nicolas Genka qu'il avait été très lié, l’ami intime, du poète homosexuel Jean Sénac, celui qui sera plus tard assassiné à Alger... et qu'il entretenait une relation des plus rapprochées avec Michel Tournier.

 

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       ...Et qu'il entretenait une relation des plus rapprochées avec Michel Tournier qu'il avait connu dans l'atelier de son père pendant que ce dernier réalisait son portrait.

 

PATRICK ET SÉNAC

 

 

 

 

Ci-joint une vidéo de sa participation à un prix Goncourt (1970) sous la parrainage de Michel Tournier. 

 

Le Prix Goncourt pourquoi pour qui ? - Vidéo Ina.fr

30/11/1970        ▶ 39:23     www.ina.fr/video/CPF10005685... 

Le Fond et la forme - 39min23s     733 vues  

   

Quelles sont les affres de l'écrivain à quelques jours de la remise du prix Goncourt et qu'est-ce qui peut changer dans la vie de ce dernier lorsqu'il est récompensé par un tel prix. Témoignages de deux postulants Michel TOURNIER et Patrick MC AVOY. Interview de Maurice GENEVOIX se remémorant le jour de son prix. Roland DORGELES explique comment se passent les délibérations. Armand SALACROU raconte quelques anecdotes de vote et constate le peu de répercussion sur les œuvres préalables de l'auteur. Georges CHARENSOL explique les raisons de la création du prix Renaudot en 1925. Deux libraires évoquent l'aspect flatteur d'avoir un prix Goncourt chez soi et le responsable de la librairie poétique Jean BRETON regrette que les journalistes ne s'intéressent pas autant aux prix de poésie. Jean-Louis BORY insiste sur l'aspect éphémère du prix et sur ses dangers. Paul COLIN, prix Goncourt 1950, interroger dans ses terres se souvient. Au lendemain du prix Goncourt, témoignage de Michel TOURNIER sur son livre "le Roi des Aulnes" et sur son amour de la photographie.

 

Le Prix Goncourt pourquoi pour qui ? - en vidéos sur actu.orange.fr
https://actu.orange.fr/.../videos/le-prix-goncourt-pourquoi-pour-qui-VID0000001LW...

 

        Ce qui fit que, pour en revenir à Michel Tournier, sans avoir de vrais rapports avec lui avant 1976, j’existais cependant pour lui, à ce moment-là, en 1964, par retransmission de ce que Patrick Mac Avoy apprenait de moi, lui venant de sa sœur Dominique ou de son amie, Denyse Roland, que je côtoyais régulièrement au Cours Dullin, et qu’il lui racontait ensuite...

        Ainsi s’était établie, sans que j’aie eu mon mot à dire et sans que nous nous connaissions, une relation cordiale, par personnes interposées, entre Michel Tournier et moi. Une relation de curiosité distante qui, de sa part, ne se démentira jamais car, c’est avec surprise et bonheur que je pus vérifier, à plusieurs reprises, au fil du temps, jusqu’à la publication de La famille Adam en 2003 – ce livre étant l’aboutissement de cet échafaudage brinqueballant –, que c’était un homme fidèlement brave qui me soutint constamment, et avec acharnement même, alors que je ne lui avais et ne lui ai jamais rien demandé.

        En témoigne surtout, ce qu’il dira, sans que nous nous soyons engagés dans une publication, des livres que j’ai publiés et de ma démarche d’édition, dans les trois séances de son interview à l’émission radioscopie de Jacques Chancel en 1981 …

 

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        Pour qualifier cette relation, Michel Tournier n’ayant jamais fait mystère de son homosexualité, je dirai qu’elle était pour moi, sans ambiguïté, alors que, de sa part, sur le plan strict des œuvres, je peux dire qu’elle frisait l’intrigue, la perversité et la manipulation...

       Pour preuve je rappellerai qu’hormis Vendredi ou les limbes du Pacifique et Le roi des aulnes, pour lesquels il m’avait sollicité, il avait choisi de m’oublier lorsqu’il s’était agi de publier Pierrot ou les mystères de la nuit, Amandine ou les deux jardins et La Fugue du Petit Poucet. Trois livres que j’aurais pourtant été très fier et honoré de publier mais qu’il avait préféré proposer à d’autres éditeurs mieux placés sur le marché. Tout en m’appelant néanmoins avant chaque publication pour me demander, en m’accordant une réelle compétence en illustrations, l’autorisation d’utiliser ce qu’il appelait “mes” illustrateurs : Danièle Bour, Joëlle Boucher et Alain Gauthier…

 

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        Je parle de sa perversité parce que le seul texte que Michel Tournier m’ait réellement proposé, en insistant et en prétextant que j’étais le seul dans la place à pouvoir le publier – alors qu’il savait que j’avais refusé le texte d’Yves Navarre et sollicité Julien Green pour obtenir un texte pour adolescents ayant trait à l’homosexualité –, était une nouvelle, extraite de son magnifique recueil Le Coq de bruyère ou Les Sept contes, qui, avec une couverture d’Alain Gauthier, portait en exergue une citation de Lansa del Vasto : "poisson, de peur que tu n'en sortes nu, je te jetterai mon manteau d'images”

COUV COQ DE BRUYERE

 

        Cette nouvelle qu’il m’encourageait vivement à publier avait pour titre Tupik et elle était proprement sordide. Sordide mais hilarante et on pouvait facilement se la raconter et la reporter comme une bonne blague, au milieu d’un diner, pour rompre la glace, si on voulait être sûr de détendre une atmosphère trop guindée. C’était l’histoire d’un préadolescent qui travaillait avec son père, après l’école, sur un manège pour enfants, installé dans le très sélect Parc Monceau à Paris dans le dix-septième arrondissement, dans le milieu favorisé de ce quartier huppé de la capitale parisienne et qui en était venu jusqu’à se laisser pousser les cheveux pour se donner des allures de fille… Cela parce que répugnant d’aller, lors de ces journées de travail au manège, satisfaire ses besoins dans les toilettes nauséabondes réservées aux hommes, il préférait tromper la gardienne, dame pipi omniprésente, en se faisant passer pour une fille et bénéficier ainsi de la propreté des toilettes pour dames, fleuries, parfumées et bien entretenues mais qui lui étaient interdites …

 

        Le dilemme-nœud de la nouvelle de Tournier commençait là.

 

        Pour cet adolescent prêt à tout pour ne pas avoir à subir les mauvaises odeurs de ces WC réservés aux hommes, comment déjouer la vigilance de cette dame pipi revêche qui l’avait déjà une fois repéré, et comment réussir à se faufiler pour satisfaire ses besoins, alors qu’elle l’avait menacé s’il recommençait, de lui couper son zizi ?...

 

        Menace terriblement traumatisante mais auquel le jeune pubère se résigna puisque, pour continuer à fréquenter ces toilettes de dames, il ne trouva pas d’autre solution, sans attendre que la dame pipi mette à exécution ce qu’elle avait promis de lui faire, de se couper lui-même son zizi… Et, pour que rien ne soit perdu et que la dame en question en ait l’usufruit, de mettre son petit bout sanglant et encore frémissant, dans la casserole installée sur un réchaud à alcool à l’entrée des toilettes où, en permanence, frémissait un frichti de gésiers et de rognons dont la dame pipi raffolait…

        Un livre qui, on peut facilement le comprendre, n’aurait pas arrangé mes affaires si je l’avais publié, ni ma fiche équationnelle.

 

       Cette fiche funeste qu’avaient soigneusement établie, année après années, chronologiquement mais dans une continuité de suite irrévocable, ces femmes qui désapprouvaient avec acharnement mes options et ma contribution à la littérature pour la jeunesse :  la protestante Anne Schlumberger-Doll et sa servante dévouée Geneviève Patte, Marie-Claude Moncheaux et François Dolto, puis, longtemps après, Cécile Boulaire.

        Cela étant dit, je veux dire que c’est par la lecture globale de son œuvre, de ses romans, essais et recueils de nouvelles, dont il m’envoyait chaque fois, dès leur parution, un exemplaire, que Michel Tournier m’influença en stimulant le peu d’envie que j’avais parfois de continuer à publier.

       Une stimulation qui, selon ce que me dira Marc Soriano qui nous présenta l’un à l’autre, devait avoir sa réciprocité puisque, parait-il, ce sont les livres que j’ai publiés qui l’ont encouragé à écrire pour la jeunesse.

 

        4. La quatrième rencontre fut celle que je fis avec Harlin Quist en 1964, dont j'ai déjà bien trop parlé. Sinon qu'elle fut à la fois, pour moi, la plus catastrophique et la plus constitutivement déterminante puisqu'elle me confirma, par opposition aux siennes, dans mes résolutions intimes.

 

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Harlin Quist en août 1965, saisi par mon objectif : un oeil droit de tacticien soupçonneux qui observe, envisage et planifie et un oeil gauche en défensive qui spécule et se prépare à l'attaque.

 

 

 

2020/08/14 DE LB

 

        Bonjour François,

        Alors bien sûr c’est mon tour d’être inquiet de ton silence.

        As-tu reçu mon dernier e-mail ?

 

        Comment vas-tu?

 

        Je rédige ces temps-ci le chapitre consacré aux années 1967-1972 (Alala, Atome, Ionesco, etc.) alors tu te doutes que je pense à toi tous les jours.

 

        À bientôt de tes nouvelles, Loïc

 

 

2020/09/01 A LB

 

         Suroccupé... Mais pour des conneries matérielles : ma voiture a été jugée trop vieille et irréparable et je perds mon temps à en chercher une autre, d'occasion, trois portes à essence et automatique... et à un prix convenant à ma bourse... et ces recherches m'épuisent...


        Ce qui fait que j'ai décroché un peu. Le départ à la retraite de Viviane m'a laissé sur le carreau. Je ne pourrais jamais avoir avec sa remplaçante la qualité de rapports que j'avais avec elle...

 

        Le fait qu'elle que cette nouvelle ait été formé dans un organisme catholique me laisse présumer qu'elle va arriver avec les mêmes œillères qu'ont eu toutes les bibliothécaires “bien intentionnées” qui ont saqué les livres que j'ai publiés.
       

        Ayant été échaudé je me suis remis sur la touche.


        Même avec toi. Je ne suis pas sûr que ce que j'ai cru bon de te donner, dans l'intention de te stimuler, ait été une bonne chose.


        J'ai cru un moment, encouragé par quelques amis fidèles, que ce que je cherchais à faire en écrivant mon autobiographie professionnelle pouvait avoir de l'intérêt pour l'histoire de la littérature pour la jeunesse et puis, progressivement, j'ai jugé la démarche prétentieuse et franchement inutile.


        J'en suis même arrivé à me reprocher le rapport qui s'était établi entre nous et ma déformation professionnelle, celle d'être un instit' transmetteur de savoir et celle de vouloir te transmettre ce que j'avais appris, ce que j'avais vécu et ce qui m'avait incité à agir.
        D'autant plus que tu n'as pas l'air de réagir, d'approuver ou de contester...


        J'avais préparé des envois et puis au dernier moment je me suis dit que tu n'en avais pas besoin...
        Le covid a fait le vide à bien des mouvements du cœur. Je le constate autour de moi dans les quelques relations que j'ai avec mon voisinage.
        Voilà où j'en suis !... Cela repartira peut-être, mais j'en doute !... j'n'ai plus l'âge!... Ni l'envie ! ...
       

        Alors je classe, je trie et je jette. Même le complément, les choses les plus personnelles que je m'apprêtais à léguer à Viviane pour faire partie du dernier lot de mes archives me paraissent inutile à conserver... C'est la débâcle quoi !...
       

         Dis-moi néanmoins si je peux t'aider. Bien que je n'aie plus envie de répondre aux questions et que je n'en ai plus les capacités.
         

         Par contre je peux retrouver dans ce que j'ai déjà écrit des éléments qui, parce qu'ils furent écrits au moment où cela se passait, présentent à mon sens plus d'intérêt que ce que je pourrais en dire maintenant.

 

        Avec mon amitié et en espérant que tu prends bien soin de toi et des tiens.

        A toi. François

 


2020/09/02 A LB

 

        Mon cher Loïc,

 

       Ce que je te reproche est de ne pas être assez direct, assez précis et assez offensif dans les questions que tu te poses et que tu pourrais me poser.

 

       Voire dans tes silences, puisque je n’ai pas de retour à ce que je te donne, alors que sur le plan graphique tu m’as démontré et a démontré à ceux qui t’entourent et qui t’accordent du crédit – les Éditions Didier en particulier, Viviane Ezratty et Hélène Valotteau, les Éditions MeMo…–, que tu as des goûts et des choix très précisément particuliers, différents même de ceux avec qui tu fraies – Cécile Boulaire entre autres –, qui devraient être et qui seront de toutes façons, que tu en sois conscient ou non, les axes les plus intéressants de ton livre. Ceux sur lesquels tu seras jugés.

 

         C’est cette incertitude dans laquelle tu me forces à rester qui m’agace.

 

        J’ai l’impression de donner à fonds perdus ! ...

 

        Et, en bon paysan que je suis resté, j’ai tendance à penser que tu dois être un fils à papa, investi par ta cause, et à dire : Encore un autre qui veut tout sans rien payer !

 

        C’est dans cet ordre de réflexions qu’il m’est arrivé de me trouver lorsque tu es resté silencieux cet été : Est-ce qu’il peut y avoir réel échange entre nous ou bien va-t-il faire comme Marie-Pierre Liteaudon et Cécile Vergez-Sans, faire semblant d’être concerné par ce que j’ai vécu, découvert, appris et proposé pour ensuite m’envoyer bouler comme si j’étais un vieillard déconnecté du sens et du cours de la vie contemporaine et dont les vérités périmées n’intéressaient plus personne !...

 

        Je sais de quoi je parle puisque j’ai dans mon entourage direct, ici, à Eybens, trois jeunes couples (âge moyen 35 ans) avec des jeunes enfants de 3 à 6 ans que je connais bien puisque je les ai vu pour ainsi dire naître et je ne peux que constater, avec tristesse, leurs réactions d’hésitation face aux livres qu’ils ont pu découvrir chez moi – lorsque je juge bon et possible ou intéressant de les leur présenter pour voir leurs réactions –, comparativement à ceux qu’ils cherchent sans trop savoir dans quelles directions aller puisque, graphiquement et pédagogiquement, ils sont plutôt, même nantis de leur Bac, incultes.

 

       Le plus surprenant étant que les enfants sont moins suspicieux et plus ouverts, carrément enthousiastes à découvrir l’humour corrosif et pourtant dynamiquement complice des Quatre contes d’Eugène Ionesco.

 

      Ce petit détour me ramène à ta question

 

« Pourrais-tu également me préciser l’année pendant laquelle à Francfort Claude Gallimard (était-ce bien lui?) t’a répondu qu’il était capable de faire des livres comme les tiens mais sans toi quand tu as décliné sa proposition d’animer un département jeunesse chez Gallimard? »

 

        Face à moi, dont il avait certainement entendu parler, Claude Gallimard, amené au stand que nous avions pris à la Foire de Francfort en octobre 68 au nom des Éditions Harlin Quist  par Madeleine Chapsal, avec qui j’avais établi, parce qu’elle était la responsable à l’Express des rubriques sur la psychanalyse et que je comptais bien impliquer cette “science des profondeurs” dans la littérature pour la jeunesse que je publierais, des liens suivis.

         Madeleine Chapsal était pour moi une personne d'importance, pour qui j'éprouvais amitié et estime, puisqu’elle s’occupait de l’éducation des 4 enfants que son ex-mari n ‘avait pas pu avoir d’elle mais qu’il avait eu de Sabine Becq de Fouquières.

 

 

Madelein Chapsal

 

 

         Elle était arrivée souriante ce jour-là sachant pertinemment qu'elle tenait son effet puisque, comme elle l'avait prévu, Claude Gallimard semblait tomber du ciel en découvrant ce Conte Numéro 1 illustré si brillamment par Delessert.

 

         Il y avait de quoi, je le reconnaissais, être d’autant plus et doublement vexé que c’était un livre réalisé sans qu'il n'en ait rien su, à partir d’un texte d’un de ses auteurs“ maison”, un auteur qu’il entretenait et qui “émargeait” chaque mois en encaissant, en avance sur ses comptes de ventes annuels, une mensualité conséquente ... Et que sa réalisation moderne et graphiquement exceptionnelle correspondait à cette qualité audacieuse, provocante et bien contemporaine que tout éditeur, même non spécialisé en littérature pour la jeunesse, pouvait souhaiter, si lui était passée par la tête – ce qui était le cas ! –, l'envie de créer ou de développer un département jeunesse…

 

       Il faut dire que sur notre stand, le succès de fréquentation et de consultation des livres que nous exposions, motivé autant pour les éloges que pour le déni et les accusations de sophistication et de non-adaptation au niveau d'appréhension des enfants, était, par généralisation d'analyses-critiques souvent superficielles, tellement phénoménal et inespéré et si peu en rapport avec ce que j'escomptais, que j'en étais tout ébahi.

 

          Je parle pour moi alors qu’Harlin Quist ne partageait pas, ou feignait de ne pas partager, ma surprise. Car bien qu'éberlué, se voyant déjà en empereur des nations, il enregistrait l'affluence des curieux qui revenaient plusieurs fois en accompagnant leurs amis, en se croyant au septième ciel... D'autant mieux que les demandes d’achats de droits que nous faisaient plus particulièrement, parmi les éditeurs spécialisés jeunesse du monde entier, les européens : Italiens, Allemands, Suisses allemands, Néerlandais, Danois et Suédois étaient des preuves concrètes du succès que ce livre nous rapportait…

 

         Contrairement à ce que tu dis, Claude Gallimard n’a pas répondu à une des questions que j’aurais pu lui poser le jour de cette rencontre puisqu’il se plaçait en supérieur offensé et plutôt en maître et en accusateur comme s’il parlait à un de ses employés et avec condescendance.

        Sa phrase fut courte et impérative, comme si j’étais à ses ordres et ne pouvais que lui obéir « Je veux ces livres dans ma maison. »

        Ce à quoi je répondis que c’était à la porte de sa maison que j’avais frappé en premier lieu pour proposer, puisque je ne voulais pas devenir éditeur, les premiers livres édités par Harlin Quist à New York, élargis sous forme d'albums, selon mes idées, par John Bradford (le directeur artistique choisi par Harlin Quist) à partir de certains livres de grands auteurs classiques de notoriété internationale qu’avait publiés Harlin Quist dans des petits formats de type scolaire ( Le Géant égoïste d’Oscar Wilde, L’enfant de Gertrude de Richard Hugues, L’histoire des quatre petits enfants d’Edward Lear) mais que son responsable, un certain Georges Leser m’avait alors dit, en généralisant sottement et en ramenant les livres à leur marchandisation, que « ces livres que je lui proposais étaient de trop bon goût et qu’ils ne pouvaient, en conséquence, pas intéresser les parents Français acheteurs potentiels…»

 

         Claude Gallimard m’entendit bien mais sans tenir compte de ce que je lui disais ou ce que j’aurais pu lui dire… Lorsque nous nous retrouvâmes le soir, au cocktail que donnaient les Éditions Insel-Suhrkamp Verlag, celles qui achèteront par la suite plusieurs des livres que j’ai édités, interrompant la conversation que j’avais avec le Professeur Docteur Siegfried Unseld (titre pompeux que se donnent en Allemagne ou en Italie les éditeurs) il me répéta, impérialement, comme si c’était une affaire entendue : « je veux ces livres dans mon bureau ! »

 

          Claude Gallimard jouait son jeu de monarque en faisant semblant de me découvrir alors que, pour ma part, je savais qu’il avait déjà entendu parler de moi par plusieurs personnes de son entourage dont deux plus particulièrement qui étaient liées avec des hommes politiques influents :

 

            -- d’une part, Anne-Marie Engel, fille du relieur de Montrouge qui avait relié les trois premiers livres que j’avais édités en France, importés des États-Unis, mais auxquels j’avais largement contribués à plusieurs titres (Le Géant égoïste d’Oscar Wilde, Les délicieuses prunes du méchant roi Oscar de Rick Schreiter et Sans fin la fête d’Étienne Delessert) qui était alors fiancée à Jean-Louis Debré, fils de Michel Debré ministre du Général de Gaulle...

 

           -- et, d’autre part, Colette Rousselot, éditrice, par héritage de son père, d’actions aux Éditions de La Table ronde, qui était l'épouse de Jacques Duhamel, homme d’engagement et de passion, adjoint d’Edgard Faure et de Lucie Faure (passionnée d’arts et de littérature), qui deviendra Ministre de la culture de Georges Pompidou...              Celle qui m’avait repéré parce qu’elle s’occupait d’édition et qu’elle était mère d’enfants en âge d’apprendre à lire – dont parmi ces quatre enfants, cet Olivier Duhamel, qui s'imposera constitutionnaliste, éditeur, chroniqueur radio, politologue et l’actuel journaliste apparaissant souvent dans les émissions de la chaîne LCI... –, Puis qui deviendra, après la mort de Jacques Duhamel, le monde de l’édition étant tout petit, la compagne de Claude Gallimard…

 

        Quoi qu’il en soit c’est bien à partir de ces Quatre Contes de Ionesco et de la publication de ce Conte numéro 1 que je fus considéré en matière d’édition pour enfants, en France et en Europe – car, pour les États-Unis, Harlin Quist ramenant tout à lui, je n’avais pas d’existence et me trouvais relégué à jouer, comme le disait Maurice Sendak, le rôle obscur et occulte de « French shadow » –, digne d’être un prototype de ce qui pouvait susciter, dans ce landernau populaire qu’était le vaste champ des productions traditionnelles pour la jeunesse, pétrie de conformisme, de bonnes intentions, de poncifs et d’idées reçues, un mouvement de régénération nécessaire et indispensable...

       Un mouvement qui, sur le plan culturel, dormait sous la cendre et ne demandait qu'un peu d'élan et de bon vouloir pour se mettre en phase, en raison de sa nouveauté et des principes pédagogiques de renouvellement de ses contenus et de ses procédés, avec ceux que nous apportaient à foison, en raison de la multiplicité des techniques de reproductions des images, en nous immergeant jusqu'au cou, sans nous demander notre avis et sans souvent que nous nous en rendions compte dans cette inévitable et inéluctable civilisation des images ...

     Cette nouvelle ère nous arrivant alors que nous pouvions subodorer, au vu des prémices annonciateurs, la mondialisation culturelle Nord-Occidentale, puis, par contamination et amplification, la mondialisation générale qui n’apparaitrait clairement en s'imposant magistralement à nous qu’un peu plus tard.

 

         Harlin Quist qui le premier avait vu en moi ces potentiels et qui comptait bien s’en servir en m’exploitant vitam aeternam, fut le premier aussi, puisqu’il était présent lorsque Claude Gallimard me fit sa proposition, à se sentir menacé de perdre cet employé de service loyal et fidèle qui construisait pour lui les bases de ses désirs de propension à Paris, capitale de cette Europe, qu’il convoitait pour satisfaire son impérialisme yankee.

 

1971

 

 

             Que faire ?...

             Par loyalisme en tout cas et parce que je ne me souciais pas, ou peu, de mes intérêts personnels, je ne me rendis pas dans le bureau de Claude Gallimard et ne pensai même pas à lui dire que, tout intéressante qu’elle soit, sa proposition venait trop tard puisque je comptais rester fidèle à mes engagements d'association avec Harlin Quist et à mon statut de petit éditeur actionnaire majoritaire de la Sarl française les livres d’Harlin Quist.

 

            Puis les choses se dégradèrent de plus en plus entre Harlin Quist et moi en raison de ce qu’il était profondément – que je décris très cruellement dans cette lettre à Viviane que je t’ai envoyée mais à l’état de premier jet et que j’ai rallongée et reprécisée après –, si bien qu’en fin d’année 1971, persuadé qu’Harlin Quist ne changerait jamais, j’aurais pu et j’aurais dû, aller frapper à la porte du bureau de Claude Gallimard…

 

         Démarche que je n’ai pas entreprise à cause de ce que je suis ou, si tu préfères, à cause de ce que je ne suis pas et ne peux pas être, mais sans savoir exactement pourquoi, sinon simplement pour répondre à une intuition intérieure que me dictait ma conduite, celle de rester à ma place, de ne pas pisser plus haut que mon cul, alors que tous les auteurs que j’avais publiés, ou que j’admirais, faisaient partie de l’écurie Gallimard (Ionesco, Duras, Brisville Tournier, Quignard, Reumeaux…) mais que je ne regrette pas.

 

        Raisons de mon abstention qui donnèrent à Claude Gallimard l’idée de demander à Pierre Marchand de faire dans sa maison ce que j’aurais pu y faire.

 

        Je n’ai pas de regret non plus sur ce point puisque je ne voulais pas faire ce que Pierre Marchand a fait chez Gallimard à partir de 1972, date de la création de Gallimard Jeunesse, même si je considère avec respect son cheminement, depuis l’apprenti-typographe puis le magasinier qu’il a été chez Fleurus avant son ascension à la direction dans cette maison, et considère avec de l’admiration toutes les collections magnifiques qu’il a créées et développées dans le secteur Gallimard Jeunesse.

        Je n’ai pas de regret parce que mon rôle, selon cette intuition intérieure et en accord avec mes ambitions simples se limitait à ne vouloir publier que peu de livres.

 

        Des livres d’auteurs précis, plutôt non appréciés par tout le monde – J’ai dit plusieurs fois que je ne voulais pas publier pour les masses et qu’il y avait suffisamment d’éditeurs sur le marché pour le faire–, des auteurs qui n’étaient pas des romanciers, au sens populaire du terme, c’est-à-dire des écrivains qui écrivent bien et facilement sur des sujets divertissants correspondant aux espoirs et aux attentes d’un public indifférencié mais large et peu exigeant, des livres dit populaires…

 

         En bref, je disais par-là que je ne voulais pas dépenser ma vie et mettre mon énergie au service de ces écrivains qu’on lit sans peine et sans effort… ni, en raison de ce que j’avais appris et puisé dans la culture de notre pays, donner de mes forces et de mon intelligence à une autre forme littéraire qu’à celle, exclusivement, qui ne soit pas empreinte comme la littérature l’est par essence, de psychologie, de philosophie, de psychanalyse, de religion, de métaphysique et de politique…

 

         Je ne transigerais pas sur ce point. L’argent et le profit ne m’intéressaient pas.

 

         Hélas, je pus par contre, à cause de cet entêtement, qui n’avait rien d’intolérant pour ceux qui ne partageaient pas mon avis, mesurer souvent les résistances que mon point de vue soulevait et souffrir à en subir les conséquences – Jean-Pierre Delarge refusera que j’édite Le secret du domaine de Pascal Quignard en prétextant que le texte était « proprement illisible » et Bernard Foulon, chez Hatier, deux ans après, m’envoya son attachée de presse pour que je lui explique pourquoi j'avais tant tenu à publier aux Éditions de l’Amitié, ce « texte si mal écrit qu’il en était proprement incompréhensible »

098 secret du Domaine réduite

 

 

          La littérature ne pouvait être pour moi que cet art d’expression qui, mis à la disposition des auteurs, les obligeait à réinventer la langue et les structures internes d’expression par lesquelles la communication avec les lecteurs pouvait s’établir... Avec, pour ajout et appoint, cet autre art d’expression, graphique, qu’était l’illustration, à condition qu’elle donne à lire, à comprendre et à réfléchir et qu’elle ne se cantonne pas à être seulement une image d'enjolivure.

 

         En 1973, quand j’acceptai, par suite de tout un concours de circonstances dont Colette Duhamel fut le maillon relationnel – paradoxalement incohérent puisqu’il aurait dû me mener chez Gallimard au lieu de me livrer au groupe Hachette –, de prendre la responsabilité de créer Grasset-Jeunesse, c’est Pierre Marchand qui, alors que je ne le connaissais pas, sollicita par téléphone de me rencontrer « pour me parler d’une chose importante »…

         Nous déjeunâmes ensemble. Il était dans ses petits souliers et je lui fis comprendre, puisque je souhaitais qu’il se déboutonne, qu’il n’y avait pas de quoi …              Que voulait-il me dire de si important ?...

         Alors embarrassé… comme s’il n’avait pas une haute idée de lui-même ou qu’il faisait l’humble pour obtenir mon accord, il commença par me dire … qu’il n’avait pas ma gueule… ce qui me fit éclater de rire en lui tapant sur l’épaule et en lui disant qu’il n’était pas trop mal non plus … tout en précisant néanmoins que ce n’était pas avec ma gueule que j’avais publié les livres que j’avais publiés mais avec ce qui ne se voyait peut-être pas mais qui était bien sous mon crâne, dans mon esprit… Tandis que sans m’entendre et sans changer de registre il continuait à vouloir me dire ce qui semblait avoir du mal à sortir de sa bouche, ce pourquoi il avait demandé à me voir… qu’on l’obligeait… qu’il n’avait pas d’autre choix… qu’il s’agissait de sa carrière… enfin, que contre son avis… Claude Gallimard lui ordonnait de faire du Ruy-Vidal sans Ruy-Vidal…

        Et comme il se détendait, s’apercevant que je ne m’offensais pas et que je souriais plutôt de sa fausse candeur, je l’encourageai alors vivement, en exagérant même un peu, en lui disant : « Tu ne peux pas me faire plus de plaisir !... Vas-y… Fonce… N’attends pas… Au diable les scrupules !... Nos auteurs et nos illustrateurs se porteront mieux… D’autant mieux qu’en matière d’auteurs, chez Gallimard, tu es verni puisque tu es assis sur une mine d’or…»

 

       J’avais l’air très généreux mais ne me trompais pas moi-même et n’en pensais pas moins... Pas difficile de comprendre  que, quel qu’ait été mon avis, que je le veuille ou non, Pierre Marchand avait déjà décidé de prendre modèle sur ce que j’avais fait en prétendant même, quelques mois après, qu’il faisait mieux que moi.

 

       A sa suite, Evelyne Pasquier, copieusement encouragée par Delessert, iront par la suite jusqu’à prétendre qu’ils étaient les découvreurs d’Ionesco et tairont mon nom, le rayeront des colloques où j’aurais pu participer, avec l’aide, installées dans le clan Gallimard, de Catherine Dolto et de Coline Poirée et, à la direction du livre, de Geneviève patte – Ce clan des femmes opportunistes qui jouent des coudes pour se faire une place dans le domaine de la littérature pour la jeunesse et qui ont souvent tendance à considérer, par revanche sur la phallocratie ambiante, que les hommes n’ont rien à y faire –, en allant jusqu’à se prévaloir d’être les premières initiatrices de cette option de nouvelle d’édition.

 

        Ma lettre est suffisamment longue pour te forcer à mettre le nez dans le fond des choses... 

 

2020/09/03 DE LB

 

        Je comprends que tu me juges piètre bretteur, effectivement je ne souhaite ni approuver ni contester, je suis surtout curieux, Immensément curieux de savoir comment s’est construite une aventure éditoriale qui a permis à l’enfant que j’étais de construire son regard (sur le monde). Car bien sûr ces livres, ces artistes, ont mis des couleurs sur mon enfance et je n’ose imaginer qui je serais devenu sans eux. Bref, en vérité j’approuve, évidemment !

        Et pour ce projet, je me veux clairement, comme toi, être un transmetteur, vois-tu, je suis persuadé que ce monde et celui qui vient ont absolument besoin de savoir pourquoi et comment est advenue la révolution de la littérature en couleurs - ou au moins les éditeurs et illustrateurs de ces mondes.
        On m’a proposé cette année quelques heures de cours auprès de jeunes qui sont inscrits en classe préparatoire à l’école des beaux-arts d’Orléans, je peux te dire qu’ils sauront comment tu t’appelles avant la Noël ! Ce sont les jeunes eux-même qui réclament plus de cours d’histoire de l’art, leurs aînés ne considèrent plus cette matière comme importante… mais je vais leur servir 16 heures d’histoire du livre illustré au XXe siècle et on verra si je peux faire davantage l’an prochain.
        Je suis aujourd’hui-même attelé à la rédaction de l’épisode relatant les années Grasset, la collection 3 pommes et ses livres qui frôlent l’abstraction… Quelle ambition !
        J’ai compris en lisant les archives déposées à l’Heure joyeuse que cette collection était déjà avancée du temps des Livres du cyclope, peux-tu me le confirmer ?

        Pourrais-tu également me préciser l’année pendant laquelle à Francfort Claude Gallimard (était-ce bien lui?) t’a répondu qu’il était capable de faire des livres comme les tiens mais sans toi quand tu as décliné sa proposition d’animer un département jeunesse chez Gallimard?

        Autre chose : il y avait une librairie à Boissy Saint-Léger dont je ne retrouve pas le nom, qui organisait des ateliers de lectures pour enfants, je crois que tu y as soumis certains de tes livres. Ça m’intéresserait fort de savoir lesquels, quand, dans quelles circonstances.

        Tous ces éléments te paraîtront peut-être des points de détail anecdotiques mais je pense que sont ces détails-là qui en disent beaucoup. Et s’ils t’ennuient, alors effectivement, ne t’y attarde pas.
                Bien à toi, Loïc

        Merci pour ta réponse et pour les précieuses photos.
        Ces détails me permettent d’être précis dans la recension des évènements.
        Tu ne donnes pas à fonds perdus, si c’est ça qui t’inquiète, car tout est pour le projet et effectivement je ne commente guère en retour ce que tu me racontes car j’essaie surtout d’en faire de la matière pour le livre. Lequel ne servira ni ma fortune ni ma gloire mais /car je n’ai de projets dans aucune de ces deux disciplines.
        Par ailleurs, comme je dois bien travailler pour gagner ma vie, je passe parfois plusieurs semaines sans toucher à ce projet. J’espère que ceci explique cela. Toutefois si tu souhaites m’associer à Marie-Pierre Litaudon (par pitié…) et endosser le rôle du vieillard incompris, libre à toi mais effectivement je n’y comprends rien.
        Je ne suis pas étonné que tes voisins soient surpris par tes livres mais encore moins que leurs enfants soient enthousiastes. J’ai lu ces Contes de Ionesco à mes filles et c’était toujours un plaisir partagé (la plus jeune a aujourd’hui 14 ans). Oui ces parents sont incultes, peut-être plus encore que leurs prédécesseurs des années 1970.

        Même les « spécialistes » qui travaillent aujourd’hui dans l’édition ou les bibliothèques spécialisées sont parfaitement ignorantes (oui, surtout des dames, toujours) de ce qui les a précédé… mais c’est ce qui me pousse toujours à montrer et raconter, expliquer comment les choses se sont faites, dans l’espoir qu’à la fin soit écartée la médiocrité des étagères promises « à ces gens d’avenir que sont les enfants » pour reprendre une formule de Gilles de Bure.
        Parler de Grasset Jeunesse ou même de Gallimard Jeunesse mais négliger l’École des loisirs dont le succès repose avant tout sur le génie commercial de Jean Delas, par exemple. J’y crois encore - ça ne durera peut-être pas toujours - et ton aide m’est précieuse.

        Les photos, le papier à en-tête que tu m’as envoyé, tes réponses précises et détaillées comme celle-ci à propos de Gallimard sont essentielles, l’attitude de Pierre Marchand… qui d’autre pourrait raconter ça ? Oui je compte bien puiser dans cette richesse mais c’est pour le livre, les conférences, les formations, les enfants surtout. Moi, je n’existe pas.
        Alors dans l’espoir d’une nouvelle réponse, je t’interroge à nouveau, cette fois, puisque je suis jusqu’au cou dans la période Grasset, au sujet de Danièle Bour : comment l’as-tu découverte? Est-elle venue à toi avec un projet de livre ? Qu’est-ce qui t’a touché dans ses images ?
        Bref, je ne te lâche pas. Loïc

 


2020 10 14 A LB

 

              Où es-tu doux rêveur?....

 

        ... Un déconnecté plutôt des réalités car... je t'ai envoyé un colis de livres que tu n'es pas allé chercher à la poste ou qu'on ne t'a pas livré et qui m'est revenu comme si tu n'en avais pas voulu...
        De quoi me dégouter quoi !...
        Puis, parce que je ne pense pas qu'à mon déplaisir, de quoi me demander, en m'inquiétant, si tu vas bien...
        Ne me dis pas tout mais rassure-moi. Amicalement. François.

        Mon erreur vient certainement du fait que je voulais te faire une surprise et que je suis allé chercher ton adresse sur internet. Mon paquet a donc été adressé 144 rue du Faubourg de Bourgogne.
        Depuis, cherchant la librairie de ton épouse, j'avais l'intention de te renvoyer ce paquet au 2 Place de la République...
        N'oublie pas que je connais Orléans comme ma poche. Donne-moi ton adresse ou celle de ton bureau.
        Pour ce qui est de Claverie !... Jean !... Son frère !... Son épouse !... Oui, je voulais contribuer à ce qu'ils s'installent et fonctionnent et puis Jean qui était un très fin dessinateur-peintre de paysages et en même temps un typographe rigoureux amoureux de la lettre fut, lorsque je lui offris d'illustrer le conte du “Joueur de flute de Hamelin ” un piètre illustrateur. Tellement banal, mauvais même que, lorsqu'il m'a montré les premières illustrations qu'il avait réalisées, ma déception fut telle que, sans un mot, écœuré, dégouté de m'être ainsi trompé sur son compte, je me souviens, cela se passait à Bologne, l'année où beaucoup d'hôtels furent incendiés, j'ai quitté, fui, Bologne sur l'invite de Tito Topin, sa femme et ses copains dans sa land-rover pour Venise et pour oublier...
        Je suppose que Jean a compris.

 

        En tout cas il changea de style et ce qu'ils firent ensuite, lui et sa femme, fut respectable et intelligent, courageux même...

 

        Mais je n'avais plus envie de me remettre à parler de la société ingrate et de ce joueur de flute providentiel qui vient la punir en lui volant ses enfants...

 

        Et je passais le projet à Jacques Cassabois que je voulais aussi encourager, toujours selon ma volonté d'aider ceux qui me sollicitaient à s'imposer pour s'accomplir... mais qui écrivit, à sa manière, un conte lisse et insipide, plein de mots, mais sans les idées que j'avais et donc, que je refusai de publier et qu'il porta ailleurs...


        Mes rejets littéraires ont été nombreux.

        Mes refus graphiques aussi : Andrée Putman et son fils Cyrille, Maïmé Arnaudin et sa fille Lionnette fondatrice directrice de La grande oreille...

 

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          Je ne m'en flatte pas. Il s'agissait de ne pas trop s'étaler. Pour des raisons financières d'abord et parce que je devais ensuite, dans une certaine mesure,  tenir compte des partenaires avec lesquels j'étais associés et forcer à publication les livres illustrés qui me semblaient offrir aux enfants le plus d'élargissement de perspectives graphiques.

       Mais j'ai aussi refusé, ou, plutôt, j'ai dédaigné des propositions pourtant intéressantes que me firent Roman Cieslewicz, Patrick Couratin, Alain le Sault, Charles-Louis La Salle... En me disant chaque fois que je ne pouvais pas tout prendre et que chacun de nous avait, dans la tête, sa chambre noire, c'est-à-dire son prisme sélectif, sa façon de voir midi à sa porte et sa manière, que ce soit avec des gommes et sans rature, ou sans gomme et avec toutes les traces des moindres mouvements de son crayon ou de sa plume, de tracer son chemin et de contribuer à l'histoire...

 

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               Illustration de Charles-Louis La Salle pour la chanson de Maxime le Foretier Le Parachutiste

                avec qui je prévoyais de publier L'oiseau de cristal.

 


        Est-ce que tu te soucis vraiment d'histoire, toi qui furète et veux tout savoir?...


        On n'est jamais assez circonspect et assez prudent lorsqu'on se mêle comme toi, en ce moment, dans ton livre, de parler de choses et d'évènements passés.

 

       J'ai dit cela à Cécile Boulaire et à Annie Renonciat quand elles parlèrent de Delpire en ne voyant que ce qu'il avait fait de bien.

 

       Et je dirais bientôt cela aussi à Janine Kotwika qui a l'art, pour ne blesser personne, de survoler les faits pour ne garder de ceux dont elle parle – les morts à la rigueur et encore ! –, que ce qui ne dérange rien, en gommant les parts désavantageuses de ce qu'ils ont fait, c'est-à-dire de l'histoire.


        Je n'aime pas du tout cette manière de faire et je me suis efforcé toute ma vie de dire le vrai à partir de mon constat : nous ne sommes pas des dieux, ni des anges. Nous sommes des humains, des « humains trop humains » dotés de qualités et de défauts et, avec nos forces et nos faiblesses, soumis à toutes les tentations et susceptibles parfois d'y céder.
        Donne-moi l'adresse de où tu crèches pour que je te renvoie ces quelques livres qui auront ainsi fait deux fois le voyage pour te parvenir.


        Entre temps, cherchant une adresse, j'ai fureté sur le site de la librairie dont ton épouse et ai compris pourquoi la proposition que je t'ai faite de te donner mes livres, ceux de ma bibliothèque personnelle, ne te sembla pas intéressante...


        Tu aurais pu me le dire. Je peux comprendre. Bien à toi. François.



2020/10/14 DE LB


        Mais, je n’ai rien vu passer !
        Pas de petit mot du facteur, rien du tout.
        Un colis de livres qui repart, voilà mon pire cauchemar!
        À quelle adresse l’as-tu expédié?
        Non, ici tout va bien, j’en suis dans le livre à la partie qui concerne les graphistes, j’ai écrit à Jean Claverie qui m’a raconté comment tu lui avais mis le pied à l’étrier en le plaçant chez Massin, etc. les maquettes qu’il a réalisées à l’époque de Grasset, et le logo bien sûr. Bien intéressant tout ça.
        Ma fille a gagné les élections de déléguée de sa classe ce qui lui fait bien plaisir, vu son hypersensibilité qui l’a longtemps maintenue à l’écart des autres. C’est surtout une victoire sur elle-même. Ses parents commencent à respirer.
        Amitiés, Loïc

 

 

2020/10/15 DE LB

 

         L’idée de la surprise est touchante mais il est vrai que l’internet est plein d’informations périmées. En tous cas merci ! L’intention me touche beaucoup.
        Tu peux l’envoyer au bureau :
                Loïc Boyer 56 boulevard Alexandre Martin
        la boîte aux lettres y est normalisée et il y a toujours quelqu’un en journée, contrairement à chez moi.
        Me voilà très impatient.
        J’aime bien ta version du Joueur de flute, J.C. n’a pas tout à fait la même bien sûr. J’aime bien aussi le lien avec Tito Topin auquel je ne m’attendais pas, même s’il a, comme Nicole Claveloux, fait des dessins pour Planète. Ou Plexus, je ne sais plus…

J’ai récemment relu les bandes dessinées qu’il avait faites avec Jean Yanne, peu banales. Intéressantes. En revanche je ne suis pas sûr d’apprécier les dessins de Jean Claverie que je trouve trop beaux pour me toucher. Mais peut-être y vois-tu des choses qui m’échappent.
        Andrée Putman? Je suis curieux ! Quel pouvait bien être son projet ?
        Roman Cieslewicz a quand même réussi à placer une image dans Ernesto, mais à part ça ?
        Alain Le Sault t’a-t-il proposé ces gags qui ont été publiés dans la collection Gobelune ?
        Encore une fois, une ou deux phrases de toi déclenchent des myriades de questions chez moi, auxquelles je n’aurai probablement pas de réponses.
        Les réponses à mes questions m’importent plus que de raconter les erreurs des uns et des autres. Souvent, d’ailleurs, elles sont lisibles en creux. Je comprends que faire l’histoire implique de révéler également les coins obscurs mais je ne suis pas certain que l’on en soit là, hélas. Si on pouvait déjà faire un peu de lumière sur cet épisode fondamental de la littérature, ça serait pas mal !        Quand je vois l’ignorance des gens qui travaillent dans ce domaine qui nous occupe (bibliothécaires, éditrices, libraires) je suis effaré.

       Donc, aujourd’hui, je pense que bâtir un monument à la gloire de La Littérature en couleurs n’est pas du luxe. Une fois les statues dressées il sera toujours temps de les abattre (et j’y participerai avec joie) mais pour l’instant, dans ce désert, j’essaie d’apporter ma pierre.

Est-ce que je me trompé ?
         Bien à toi, Loïc

 


2020 10 16 A LB

 

         Je t'envoie la liste des livres que j'ai publiés.

         Je te rappelle que j'ai publié aussi Brassens, Ferré, Nougaro... avec des illustrations de tous ceux qui me paraissaient intéressants de confirmer ou de lancer. Car tel était mon rôle.

 

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        Mes goûts parfois, souvent, étaient mis en veilleuse en fonction de ma devise : “ce n'est pas les aliments qui ont bon goût qui nourrissent le mieux nos neurones” et le codicille qui suit : “ Ceux qui ont bon goût nous rendent bouffis ou obèses ”.


        Jean Claverie fut à Lyon un excellent professeur aux Beaux-Arts avec Maurice Garnier dont on ne parle jamais, celui qui faisait partie de mon équipe des cinq de St Étienne formé par la mère de Nicole Claveloux.

 

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        Ce joueur de flute que je projetais allait dans la veine de la version du Petit Poucet : remettre dans la contextualité historique de la fin du vingtième siècle comme il est de tradition avec tous les contes nous venant de la tradition orale, en reprenant à Perrault le côté royaliste fataliste qui l'avait incité à droitiser sa version pour la faire admettre et entrer à la cour du roi soleil – Ce que ce pauvre con de Lapointe et le baron Fasquelle n'ont jamais compris –...


        J'ai détesté la couverture de Claude Lapointe.

 

        J'abhorre, en matière graphique, cette structuration démonstrative primaire. Cela me ramenait aux structurations en cartouches de John Bradford, pourtant très doué, qu'il avait imposé à Harlin Quist pour ses premiers 10 livres à moins de 1 dollar.

 

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        Mes goûts, bien sûr, entraient pour une part dans les choix que je faisais. Surtout au début de mon parcours alors que par la suite, une fois un texte confié à un illustrateur choisi à partir de son dossier et des ses propositions, je lui faisais confiance et devenais son serviteur. Je n'ai jamais censuré.


         La réciprocité hélas ne m'a pas été rendue !... Aucun des illustrateurs à qui j'ai mis le pied à l'étrier et avec qui j'ai collaboré ne m'a jamais demandé, ni n'est jamais venu s'inquiéter par la suite, quand ils ont été établis, pour savoir si j'avais besoin d'une bouchée de pain quand j'ai été dans la misère et dans la déprime. Aucun !...

 

        Sauf Alain Gauthier !


        Mieux encore !... Certains s'en sont réjouis : Rozier, Galeron, Couratin en prétextant que je méritais ce qui m'arrivait parce que je n'avais pas le sens graphique.


        Voilà pour aujourd'hui mon cher Loïc.

        Tu ne me parles que de ta mère... Et ton père...

        Ta mère et ton père vivent-ils encore ?...

 


2020 10 17 A ET DE LB

 

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        Regarde les couvertures proposées par Bradford du Géant égoïste et de l'histoire des quatre petits enfants pour la version anglo-américaine et, selon mes choix, qui n'étaient pas à discuter, les couvertures des versions françaises.

 

        Il y a là de quoi réfléchir sur ce que vaut le graphisme quand il est considéré comme une simple mise en valeur du contenu d'une illustration !...

 

       Jacques Desse m'en fait le reproche dans le catalogue édité aux libraires associés mais je revendiquerai toujours qu'une illustration détient en elle quand elle est intéressante et qu'elle est polymorphe, à tiroirs, en poupée russe, en labyrinthe (style la vache qui rit de Savignac) une structuration interne qui rassemble émotionnellement suffisamment d'éléments accrocheurs de type sensoriels pour intriquer et appâter le regard.
        Une structuration qui n'est pas de type intellectuel comme le sont le plus souvent,

celles rapportées ou rajoutées qui relèvent d'une direction artistique.

 

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        Je pensais qu'une bonne illustration à condition qu'elle soir riche de sens est suffisante et qu'elle ne nécessite pas une structuration supplémentaire de schématisation, dite artistique, pour être plus efficacement racoleuse ou pour mieux la faire comprendre.

 

        Cette structuration venue de l'extérieur, après coup, forcément intellectuelle et non sensorielle, me paraissait commerciale, un attrape-gogos.


        Cela dit, qu'un directeur artistique travaille en symbiose avec un ou des illustrateurs est un autre problème...


        Quoi qu'il en soit pour moi, l'illustration de type graphique nécessitait, de la part de l'illustrateur, une incubation à partir des textes, puis, selon l'inspiration, la survenue d'un concept qui comprenait dans son schème déjà cette structure interne dont je parle.


        L'illustration du boucher et de la tête de veau de Philippe Corentin dans le Conte N° 3 est une démonstration parfaite de ce que j'avance.

 

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        De même que la première illustration de Delessert dans le Conte N°1“ le chat regardant le réveil... Ou bien l'oeil à jambes multiples.... sont de cet ordre !

 

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        Toutes les illustrations de la Forêt des Lilas détiennent cette structuration graphique interne pare ce qu'elles sont construites à partir d'une synthèse faite, comme toutes les synthèses, à partir d'un recensement personnel intime d'éléments graphiques puis, par suite de tris, d'éliminations et de décisions de conserver certains éléments plutôt que d'autres, d'arriver finalement, dans une cristallisation, qui s'impose à l'illustrateur, de devenir incontournable pour lui.

 

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        Mon rôle de catalyseur était de favoriser, en chaque illustrateur, cette idée de la structuration graphique intérieure même si je n'étais pas sûr d'être toujours compris et encore moins de réussir à l'obtenir de l'artiste.


        Mon échec avec Lapointe fut radical. Il ne voulait pas m'entendre. En riant Jean Seisser me dira « tu as choisi le plus nul, à peine arrivé à Strasbourg il ne dessinait plus que des bretzels pour se faire admettre ».


        Lapointe donnera par contre à Philippe Gavardin pour la couverture du disque tirée de ma version du Petit Poucet ce qu'il ne voulait pas inconsciemment me donner. Cette couverture est parfaite.

 

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        Lapointe, une fois devenu Professeur de communication visuelle, dira à ses élèves – l'un d'entre eux que j'emploierai plus tard dans Prince Pipo me le répètera – , que je n'étais qu'un petit instituteur qui ne connaissait rien à l'art graphique.


        Pareillement pour Rozier à qui j'ai reproché qu'il ne donnait dans “Adieu Mr Poméranie” que des éléments d'illustrations juxtaposés sans synthèse graphique..

 

 

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        Pour revenir à ces deux couvertures française du “Géant égoïste” et de “l'Histoire des quatre petits enfants” notamment, je trouvais que le geste de tendresse de l'enfant enserrant le cou du géant valait mieux que toutes les manipulations de découpe et d'agrandissement telles que Bradford les avaient faites pour la version américaine, même si j'admirais particulièrement la force de la couverture américaine du livre...

 

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        Ce qui n'était pas le cas de la couverture de Stanley Mack pour l'Histoire des quatre petits enfants, où la cafetière en mer me semblait plus plus efficace sensoriellement pour susciter l'intérêt des regardeurs que la couverture trop graphique de la version américaine...

 

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          A plus... FRV


2020 12 23 A LB 

 

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                     LES 3 COUVERTURES DU VOYAGE EXTRAVAGANT

 

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        Tu es un vrai Père Noël pour moi !!
        Comment te remercier de cette précieuse attention ?
        Un moment déjà que j’espérais lire Hugo, j’adore les dessins de cette période de de N.C. avec tant de hachures. Dès que je peux me poser un peu je vais le lire avec attention.

 

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       Figure-toi que j’ai trouvé Théo la terreur cette semaine ! Super texte avec une langue très agréable, j’adore !

        Les images de Loup sont sensibles et malignes à la fois.
        Bon, je retourne à mes préparatifs, ma belle-famille débarque demain… vivement la semaine prochaine.
        Et toi ? As-tu visité ton camarade comédien ? Comment s’annoncent les fêtes à Grenoble ?
        Bien à toi, Loïc



2021 01 22 A LOÏC

 

        Ce que tu me dis a été, et reste, un sujet inépuisable...

 

        Crois-moi je me suis suffisamment battu contre des bibliothécaires, des femmes la plupart du temps, incultes picturalement et graphiquement et se trompant en croyant bien faire, mais avec étroitesse d’esprit, pour protéger les enfants de la portée et des influences que pouvaient exercer sur leurs esprits notre “civilisation des images”, en croyant bon, dur comme fer, qu’en ne leur fournissant uniquement que des images rassurantes, sans risques et sans danger, mais infantilisantes, elles allaient pouvoir les immuniser contre les images nocives de le rue ou bien des magazines pour adultes auxquelles ils avaient presque toujours libre accès.

 

       Le résultat étant qu’à trop vouloir protéger préventivement les enfants pour les cantonner dans “le vert paradis”, elles ne faisaient, par ignorance et incompétence pédagogiques, qu’affaiblir leurs capacités de défense réflexes, en les livrant ainsi, aux risques et dangers de toutes les interprétations fallacieuses nocives qui leur venaient à l’esprit.

 

      J’ai pour ma part toujours accusé comme étant à la base de ce préventionnisme erroné, l’endoctrinement anti-pédagogique hérité de la culture religieuse judéo-chrétienne – alors qu’aujourd’hui la religion musulmane étant la deuxième des religions en France, il faudrait inclure l’endoctrinement musulman à cette culture judéo-chrétienne de base–, répercuté systématiquement, sans conteste ni remise en question, par des mères et des femmes qui, même quand elles étaient réfractaires à l’enfantement ou carrément homosexuelles.... se sentaient investies en tant que mères potentielles, d’un pouvoir protectionniste des sources de vie.

 

        Pour ma part encore, j’assimilais cette rigueur et les intransigeances qui en découlaient envers mes propositions d’immunisation par expositions progressives et calculées aux risques des richesses des expressions graphiques sans limite d’âge, à des aberrations qui prenaient leurs racines dans leur militantisme religieux radical et suprématiste, qui relevait, à cette époque des années 60-80 dont je parle, des idéologies religieuses éminemment catholique et protestante.

 

        On fait rarement mention du militantisme protestant et on a tort car, bien que plus secret et plus habile, il est aussi virulent politiquement, parfois même plus, que le militantisme suprématiste catholique.

 

        En précisant encore que j’inclurais aujourd’hui, forcément, l’endoctrinement musulman dans ces mêmes aberrations puisque toutes les religions, sans exception ont pour règle principale de prendre les enfants au berceau afin de mieux les marquer au fer rouge en imprégnant et façonnant pour la vie leurs jeunes esprits malléables.

La chose sinistre et la plus pénible étant pour moi, la ségrégation que j'ai subie, toujours au nom de cette culture judéo-chrétienne et du fait de la guerre froide que se livraient les capitalistes contre les collectivistes, d’une part, à partir de 1977, lorsque : 

 

           -- j’ai refusé de signer la pétition en faveur de Gabriel Matzneff encourageant la sexualité des préadolescents à partir de 12 ans – dont on parle beaucoup maintenant en association avec Olivier Duhamel, fils de Jacques et Colette Duhamel, (ceux qui me mirent en place chez Grasset en 74)... que j’ai connu à Sanary à la mort accidentelle de son frère Jérôme en juillet 71 –, que me demandaient de signer, Jack Lang, Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy et que je n’ai pas voulu signer...

 

           -- puis, d’autre part, quelques mois après, lorsque j’ai encore décliné, en mai 78, lors du Festival du livre à Nice, l’offre de Jack Lang de faire partie du comité de soutien du présidentiable qu’était François Mitterrand.

 

        La rétorsion en chaine des socialistes, une fois Jack Lang arrivé au pouvoir, en 81, se traduisit par un discrédit total des livres que j’avais publiés.

 

        Les fidèles de Jack Lang prétendant que les livres que je publiais étaient élitistes... Allant même, pour certains d’entre ces socialistes, de lancer contre eux de véritables fatwas : Jean Gattégno, notamment, Directeur du livre à la Culture, auteur de “Lewis Caroll. Une vie” affirmant, haut et fort, que la version d'Alice, illustrée par Claveloux, que j’avais publiée chez Grasset était de toutes les versions « la plus mauvaise version qu'il ait jamais vue » ...

 

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        Tandis que Geneviève Patte, qui fut pour moi la pire de toutes les bibliothécaires, ne recommanda jamais un des livres que j’avais publiés...

 

        Mais, pire encore, puisqu’elle était intéressée et concernée directement, au titre de productrice et de soutien de production de certaines publications pour les enfants (les petits livres d’or et les albums de la collection Aux couleurs du temps des Éditions Circonflexe), en association avec son adjointe Évelyne Cévin et le couple qu’elle formait avec son mari Paul Fustier, de se servir de sa position de juge et critique à La joie par les livres pour nuire, par l’intermédiaire de son bulletin d’analyse des livres pour enfants, pour démolir systématiquement toutes mes initiatives

 

         C’est dans ce bulletin de la Joie par les livres, que Geneviève Patte put se permettre de faire paraître, en usant de la procuration d’Évelyne Cévin, femme de Paul Fustier, alors directeur des éditions Circonflexe. sa désapprobation du livre Boucle d’or et les trois ours écrit par la journaliste de Télérama Henriette Bichonnier, illustré par Danièle Bour, que j’avais publié en 1977, aux Éditions Universitaires-Delarge.

Selon l’avis de ces trois personnes, Il n’y avait qu’une seule version possible de ce conte traditionnel, celle de Paul Galdonne dont je t'envoie par we transfer quelques illustrations pour que tu puisses en juger.

 

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         Geneviève Patte y allant même, en risquant son imprimatur, pour dire que ce livre de Paul Galdonne, ainsi que tous ceux de la collection “Aux couleurs du temps”, initiés par un éditeur américain et importés de Boston, étaient « sans discours, pour les enfants, le meilleur éveil à l'art. »

 

BOUCLE D\\\'OR ET PETIT OURS

 

         Crois-moi, Loïc, si j’avais pu, par utopisme, lorsque je me suis lancé en édition, douter de pouvoir susciter tant de haines, je compris vite, sans pourtant pouvoir l’expliquer immédiatement, que j’avais soulevé le couvercle d’une marmite bouillante, un chaudron de sorcière, où l’on voulait me faire plonger.

 

        Ce n'est que progressivement, par recoupement, à travers les multiples imbrications en réseau que cette mentalité conformiste et sectaire suscitait et entretenait, que je pus comprendre d’où venaient les coups et quelles étaient les racines qui les fomentaient et qui les entretenaient pour les répercuter.

 

        Certaines personnes confirmèrent mes suspicions.

 

        Ce fut le cas, en 76, dans un premier temps, de Sylvina Schlumberger-Boissonnas, (la fondatrice des Éditions des femmes et de l’idiot international), nièce d’Anne Shlumberger-Doll-Gruner, la mécène fondatrice de la Bibliothèque de Clamart et la mentore de Geneviève Patte qui me le confirmera en me disant que j’avais toujours été pour sa tante, la mécène Anne Schlumberger-Doll-Gruner « l'homme à abattre » ...

        Des paroles qu’elle tint à me dire au moment du rachat, par les Éditions des femmes, sous la direction d’Antoinette Foulques de “la Grippe de Nils” de Marie-France Boyer, livre dont j’étais l’initiateur, qui devait être –mais avec des illustrations de Christian Jauffret –, le deuxième volet des trois qui devaient traiter de nos modèles familiaux types, à la suite du premier “Au fil des jours s'en vont les jours” et avant le troisième qui aborderait  “les déboires d’un papa poule”... Trilogie que le baron Fasquelle m’empêcha de publier en m'accusant de vouloir encourager les enfants au divorce...

         Ce que me répétera ensuite, quelques années plus tard, de manière aussi catégorique, Igor Schlumberger, issu de cette même famille de protestants richissimes puissants, jeune informaticien venu nous rejoindre au moment où, avec mon amie Myriam Boutrolle-Caporal et son mari mécène Jacques Caporal, nous avions entrepris de proposer, afin de mieux diffuser la culture, la création d’un bibliobus informatisé, appelé “Livrambulle” par référence au livre de chansons à composer que j'avais écrites pour figurer dans la collection 3 pommes : “A pied à cheval et en Lunambulle”. 

 

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         Je veux dire par là que les bibliothécaires étaient, depuis même leur formation dans les Écoles de formation de bibliothécaires (ENSIB) instrumentalisées et encouragées dans cette voie, préventivement restreinte littérairement et graphiquement, de la littérature dite “enfantine”, simpliste et monomorphe...  Selon le principe d’un vocabulaire pour bébé avec des images douces aux couleurs layette...          En totale séparation et totale ignorance des ressources que pouvaient apporter la littérature et les arts graphiques.

 

         Si bien que Geneviève Patte, promotionnée par la mécène Anne Schlumberger-Doll-Gruner, ne pouvait, par reconnaissance, docilité et fidélité à celle qui l’avait positionnée et promotionnée à Clamart, que suivre les consignes de sa mécène devenue son mentor...

       Il fallait, c’était une obligation, qu’elle ne recommande que les livres de littérature “enfantine” produits par les grands groupes internationaux et surtout, puisque les deux sœurs Anne et Dominique Schlumberger-du Ménil, vivaient la plupart du temps aux États Unis, – la seconde à Houston-Texas autour des champs de pétrole, où les Schlumberger avaient reconverti leurs richesses –, ceux qui étaient publiés par des Américains.

 

      La vérité historique ne semblait pas avoir beaucoup d'importance pour ces personnes qui plaçaient la défense de leur idéologie culturelle, d'obédience catholique ou protestante, au-dessus de toutes les autres contingences de type laïques, non conditionnées par cette part de fanatisme, plus ou moins intransigeant et intolérant, qu'induit toute croyance religieuse.

        A cette intolérance, dictée par une défense de ses propres déterminations, s'ajoute souvent des rivalités d'intérêts qui font porter et asséner, à des arrivistes prêts à tout pour imposer leurs options, des jugements partiaux qui sont parfois meurtriers.

 

     Cas par exemple de l’ostracisme envers moi de Cécile Binaire-Boulaire !

 

     Ou de l’interview de Patrick Couratin recueilli par les deux scribouillardes du CLNJ. Interview révélateur à plus d’un titre du manque de déontologie journalistique de ce CNLJ. Les deux jeunes femmes, probablement des bibliothécaires, se comportent comme si on pouvait dire ce qu'on voulait en matière de littérature pour la jeunesse, sans avoir à rendre de compte à personne et sans encourir de démentis et de dommages.

 

       Il s'agit-là d'un déni manifeste du principe d'objectivité historique.

 

       Le résultat étant – puisque n'importe qui peut retrouver cet interview intégralement sur internet–, qu'un lecteur lambda peut être trompé par le ton de véracité de l'interview et avaler comme du pain blanc, les racontars de Patrick Couratin alors qu'ils puent la manipulation et la glorification de son maître Harlin Quist ...

       Car, connaissant la vérité, je maintiens que, contrairement à ce qui est affirmé par le valet d'Harlin Quist au premier degré :

 

       1. Halin Quist s’est surtout enrichi des livres dont j’étais l’initiateur et dont il s’attribuait les mérites. Les Quatre Contes de Ionesco, Les Géranium sur la Fenêtre d'Albert Cullum dont j'étais le producteur de la première version, Le Galion de Guillermo Mordillo, Les télémorphoses d'Alala de Guy Monréal et Ah! Ernesto de Marguerite Duras

 

       2. Que La Sarl française dont j’ai été le gérant et l'éditeur, faute de soutien des institutions nationales de prescription et particulièrement de La Joie par les livres, toute puissante entre 1966 et 1972, ne s’est jamais par contre enrichie alors que non seulement je publiais les mêmes livres mais qu'elle était détentrice avec moi des copyright.

     Cela pour la bonne et simple raison qu'Harlin Quist encaissait frauduleusement toutes les sommes des reventes des livres appartenant à la Sarl aux coéditeurs européens dans un compte bancaire à numéro qu'il avait ouvert en Suisse, au prétexte que ces livres lui appartenaient puisqu'ils portaient son nom.

 

       Le mot d’ordre des sœurs Schlumberger, mot d’ordre de nature surpuissant, dénote, sur le plan et en matière politique, le “pouvoir des protestants anglo-saxons et internationaux”.

       Ce mot d'ordre était inflexible !...

 

       Mais, pour changer de sujet et revenir sur tes remarques à propos des deux posters de Nicole Claveloux, je me suis ressouvenu que la roue d’Alala avait été réalisée par Nicole parce que les libraires trouvaient que le premier poster qu’elle avait réalisé, celui que j’avais publié, était trop grand.

 

 

POSTER DE LANCEMENT

 

 

      Effectivement, précisément, sur les conseils de certains libraires, j’avais à l’époque réalisé deux ou trois petites affichettes, 30x50, pour mieux lancer Monsieur l’Oiseau et cette roue avait été conçue pour être publiée au même format afin d’être affichée plus facilement dans les librairies qui acceptaient de vendre les livres que je publiais et de les prendre en office selon le 13 à la douzaine en vigueur.

 

 

la roue d\\\'Alala bis

 

 

           Mais, pour ce qui est des Télémorphoses d’Alala, la réaction d’hostilité des libraires en général et de la plupart des bibliothécaires, qui ne voulaient voir dans le livre que le mariage interracial et que le fait que l’héroïne-protagoniste était Noire – « Pas d’ça chez nous !» me disait-on alors –, j’ai finalement jugé que, doutant de son efficacité, c’était inutile d’en faire plus pour promotionner le livre.

 

          J’ai l’impression par contre, selon ce que tu me dis « Ceci dit je trouve l’image de la roue un peu bouchée. Et puis la métaphore d’Alice y est trop explicite.» que tu prononces un jugement et que tu renies en  quelque sorte, toi graphiste, le graphisme de cette roue.

 

       Est-ce que je me trompe ?...

 

       Alors que j’ai, moi, plutôt l’impression que cette roue, contrairement à ce que je sais de Claveloux, est typiquement et même trop éminemment graphique. Presque trop, mathématiquement et géométriquement, graphique !

 

      Cette évaluation allant dans mon sens... Qui est méfiance du principe graphique quand on l'invoque en toutes occasions et souvent au détriment de la libre communication sensorielle du pouvoir des images quand ces images sont les résultats de forces créatrices.

 

      Je me souviens que lorsque j’ai introduit Patrick Couratin auprès de Nicole Claveloux et Bernard Bonhomme qui eux vivaient et réalisaient, en symbiose fraternelle, aussi bien les campagnes publicitaires que les livres que je leur proposais, ils n’avaient pas du tout apprécié la tendance aux dictats que formulaient le jeune Couratin, imbu de sa formation à l’Académie des Beaux-Arts graphiques de Cracovie.

       La formation de Bernard et Nicole aux Beaux-Arts de Saint Étienne, par la mère de Nicole, lui semblait certainement dérisoire...

 

       Sans lui répondre, Claveloux m’avait dit ensuite, abondant dans mon sens mais sans que nous ayons eu besoin d’en parler auparavant entre nous, que le graphisme faisait ou non, partie de l’illustration. Et que ça ne l’intéressait pas qu’on l’applique à ses illustrations après coup. Que l’illustration était, devait être, le résultat d’une synthèse graphique.

 

       Ce qui confortait ce que je m’étais permis de dire, à ma manière, mais après avoir publié, sans exprimer mon jugement, le premier livre que nous avions fait ensemble Le voyage extravagant, à propos d’une des illustrations qu’elle avait réalisées, celle de la bouche qui parle devant les machines à écrire, qui, contrairement aux autres illustrations du livre « n’était pas, pour moi, aboutie ».

 

      Formule certainement maladroite qui voulait dire que les éléments figuratifs étaient simplement juxtaposés, jetés en vrac, mais sans synthèse coordonnatrice artistique.

 

      Actuellement je suis en rapport avec deux jeunes illustrateurs des Beaux-Arts de Montpellier, fille et ami d’anciens amis, qui me soumettent des illustrations figuratives, uniformes, à l’état brut, qui recèlent certes des qualités d’expressions graphiques mais qui ne sont ni composites, ni structurées (quelles que soient les formes de structurations possibles, à tiroirs ou en abîmes) de manière à donner au lecteur-regardeur la possibilité de les aborder selon, dans un premier temps, un simple regard d’envisagement général, puis dans un second, puis énième temps, de regards scrutateurs de déchiffrement des divers sens des éléments qui entrent dans la composition de synthèse.

       A la rigueur on pourrait dire que ces deux jeunes illustrateurs ne donnent que des “images” expressionnistes uniformes brutes, reproductrices d’une réalité ou d’un irréalité fictionnelle primaire, qu’elle soit intérieure ou extérieure, mais sans que ce soit, puisqu’elles ne sont ni composites ni synthétisées, des illustrations.

 

       J’espère que tu me comprends. Cette synthèse ne peut se faire que si l’artiste en a conscience. Même si, ensuite, à partir justement de cette première prise de conscience, la synthèse se fera intuitivement et implicitement.

 

       Dans La forêt des lilas, son deuxième livre, Nicole Claveloux procèdera alors, pour chacune de ses illustrations, systématiquement, intuitivement je suppose, au nom d’un certain équilibre dans la page et en fonction des blancs, à cette synthèse graphique pour elle devenue alors implicite, “comm’naturelle”. Même si au décryptage, le lecteur-regardeur, plus ou moins amateur en la matière, ne percevra pas forcément l’imbrication des divers éléments de la synthèse graphique.

 

20 BLONDINE BONNE BICHE ET BEAU MINON

 

 

       Je m’arrête ici. Je t’enverrai bientôt, pour te faire rire, mon rapport sur les posters érotique de Claveloux...

       Amitié. François.

 

2020 01 23 DE LB

 

        Hello François,
        Je te mets juste un témoignage de bibliothécaire qui a été recueilli par Viviane et qu’elle m’a autorisé à utiliser dans son livre : « Au sein des comités de lecture il y avait davantage de discussions sur les contenus que sur le côté formel. La tendance était un peu frileuse, comme si on voulait ménager la chèvre et le chou. Personne n’avait de formation artistique et les arts graphiques étaient souvent méconnus. C’était plus des avis du genre on aime/on n’aime pas. Les avis étaient plutôt péremptoires. On s’intéressait d’abord au texte. Les livres sans textes de Enzo et Iela Mari ont fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, c’est grâce à ces livres sans texte que l’image est mieux passée. […] J’ai fait un travail sur l’image de la mère dans les livres pour enfants et un montage diapos vers 1974 par rapport à la lecture de Du côté des petites filles. Les mères fouettardes étaient nombreuses ! Je l’ai montré à la Joie par les livres, sans succès, comme s’il n’était pas possible de « croire » les images. »
        Je crois que cela va dans le sens de certaines de tes expériences.
        Bien à toi, Loïc


        PS : Ça reste entre nous bien sûr, c’est un projet d’article qu’a Viviane et qui n’est encore paru nulle part.

 

 

2021 01 25 A LB

 

1967

 

 

        Non!... Cette photo remonte à 67 et Couratin ne figurait pas encore parmi nos proches. Je dis cela car les deux livres qui figurent sur les étagères son “the tree” ( L'arbre) dont j'avais fait réécrire le texte par mes élèves de la classe de la rue de Picpus (année scolaire 65-66) et “Franz Tovey and the rare animals” de Wendy Kesselman, livre que j'ai refusé d'éditer qui était illustré de photos traficotées de et par Etienne Delessert.  

         Livre stupide et nul que comme l'autre livre de sa femme Eleonor Schmid “Horns everywhere”, je n'ai pas voulu publier en France pour bien marquer, à Quist et à Delessert, qu'ils ne m'imposeraient pas leurs conceptions de la littérature pour la jeunesse ni leur manière infantile de la concevoir avec des illustrations bêtifiantes.


        Double Rejet qui me vaudra leur haine à tous les trois, en décembre 68, lorsque “le voyage extravagant” obtiendra le premier prix des 10 meilleurs livres illustrés de l'année par le New York Times.


         Haine qui ne fit qu'augmenter à la suite de ce rejet des deux livres du couple Delessert-Schmid, même si, fidèle à la promesse que j'avais faite à Delessert, je tins ma parole quelques mois ensuite, lorsque j'obtins les contes de Ionesco, en insistant auprès d'Harlin Quist, pour que ce soit lui qui en assume les illustrations.


        Je peux t'envoyer d'autres photos dites pour moi “d'édition”, si tu le souhaites, retraçant surtout mon association avec Quist, à l'époque où il se faisait tout doux pour que je lui ouvre en grand les portes de mes placards.

 

 

1970

 

Nice, Festival du livre 1970 : Jean-Claudee Brisville, Irène Kalashnikova-Brisville et Harlin Quist.


        Dont deux avec Couratin, puisque je connais ton admiration pour son talent, mais datant de 70.


        Si tu m'avais dit que tu entendais utiliser aussi des photos pour ton livre, je me serais fait un plaisir de t'aider puisque j'en ai un petit stock.


        Pourquoi ces réserves avec moi ?... Je ne comprends pas bien ! As-tu peur que je te trahisse ?...
        Bien à toi. FRV

 

 

2021/01/27 DE LB

        Hello François,
        Un mot en vitesse parce que je travaille à toute allure sur l’iconographie du livre - les délais ne semblent pas extensibles et j’ai passé un temps long sur la rédaction et maintenant cavale pour la sélection des images.

        Je cherche plus précisément quelques photographies représentant les acteurs de ces aventures éditoriales. Est-ce que nous pourrions utiliser les images que je te mets en pièce jointe par exemple ? Sur celle de Francfort tu me disais que l’on voyait Patrick Couratin, c’est l’homme de dos au premier plan?
        En te remerciant,
        Loïc

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Cette scène a vraiment eut lieu à Strasbourg. Les personnages du fond représentés par Lapointe sont vraisemblablement Nicole Claveloux et Bernard Bonhomme, Clade Lapointe et son épouse Liliane puis Danièle Bour et Louis Bour

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2021/01/27 A LB

        Pour moi, les photos les plus intéressantes ne sont pas les plus démonstratives puisque je préfère celles, introspectives, qui révèlent le fond du caractère des individus. Données qui ne me semblent pas, a priori, utilisables dans ton cas.


        Je n'ai pas de photos de Delessert parce ce que je le trouvais répugnant, portant sur le visage son avidité d'arrivisme.


        J'ai par contre un lot de photos d'H.Quist depuis 65 jusqu'à 71 qui révèlent bien son évolution psychologique au fur et à mesure de notre succès. Ses yeux parelent pour lui et pour nous. 

 

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       Mais je suppose aussi, qu'en équivalence comparative les photos qui furent prises de moi, pour servir à la promotion des livres au cours de cette même époque – alors que je détestais cela puisque je partageais le sentiment des indiens qui pensaient qu'on leur volait une partie de leur âme –,  doivent aussi trahir, plus ou moins justement, mes aspirations.


        Pour ma part, celles qui me paraissent le plus vraisemblables sont celles prises par, Fabrice Boissière, Jean-François Ferrané, James Ray ou Véronique Vial la sœur de Nicolas Vial, la photographe des “petits matins de stars”.


        Tu ne me dis pas ce que tu souhaites pré-valoriser.


        Je fais mon tri et je t'envoie celles qui me paraissent révélatrices.

 

        A bientôt. FRV

 

 

2021/01/28 DE LB

        Pas de réserves avec toi, non, plutôt une tournure d’esprit qui ne me permet pas d’appréhender plusieurs étapes en simultané.

        Une chose après l’autre.

        Ton aide dans la recension et le détail des évènements divers m’a jusqu’ici été précieuse en complément de ce que j’avais trouvé dans le fonds à l’heure Joyeuse.

        J’ai terminé la rédaction du premier jet du texte hier soir et donc maintenant je me lance dans la recherche iconographique. C’est le moment parfait pour que tu me parles de ton petit stock !
        Oui tu peux m’envoyer des photos d’édition comme tu les appelles et si tu y es accompagné d’autres protagonistes de tes aventures éditoriales (illustrateurs, auteurs, etc.) ça ne gâchera rien !
        Bien à toi,
        Loïc

PS De manière générale je n’envisage pas la trahison, c’est trop compliqué. Alors parfois je tombe de haut… mais je préfère quelques coups durs que de me méfier sans cesse de mes interlocuteurs.

 

 

2021 02 03 A LB

  

        Pour tes remarques et réflexions, je dois t'avouer que je t'envoie des pages qui me paraissent susceptibles de t'aider à bien construire ton livre mais sans aucune certitude que cela t'aidera.
        Ces pages ont été écrites pour définir mon “Parcours d'ambitions simples” et pas pour infléchir ce que tu dois et peux penser puis écrire pour que ton livre te ressemble et soit intéressant.
        Mais je dois ajouter à cela, parce que c'est ce que je m' impose et m'efforce de respecter lorsque je raconte ce que j'ai vécu, de manière à respecter la vérité historique même si cette vérité m'est désagréable.
        Il s'agit pour toi qui n'a pas vécu ces périodes que tu retraces, d'entendre les interprétations des vérités de chacune des parties qui te semblent dignes d'être contactées et de t'en servir pour la meilleure approche et la meilleure compréhension de cette vérité.
        Dans le fablier que j'ai publié à L'Amitié, “l'Habit d'Arlequin”, j'avais choisi d'inscrire la fable d'un aveugle à qui on demandait, alors qu'il n'en avait jamais vu, de parler d'un éléphant, en le touchant... C'est à peu près ce que tu as à faire.

 

A

 


        Je me permets de te faire remarquer que ce que tu laisses dire à Delessert et que tu rapportes en accompagnement de ta vidéo sur les contes de Ionesco est une falsification soigneusement entretenue par Delessert pour se valoriser et me disqualifier.

       Tu reportais dans ta vidéo de Cligne Cligne Magazine sur le Conte Numèro 1 d'Eugène Ionesco ce que Delessert t'avait dicté : 

 

« L'idée était de moi – Beckett ou Ionesco mais après avoir publié les deux premiers contes chez Harlin Quist, je me suis rendu compte que nous ne serions jamais payés (...) et plutôt que de régulariser les comptes...»

 

        Mon idée de contacter Ionesco remonte à l'été 1960 au moment où j'ai assisté, avec mon fils, 7 ans alors, à une répétition de la Cantatrice Chauve au “Petit Théâtre d'été” à Bouisseville près d'Oran... Mon ami Georges Lorenzo était présent. Il est encore en vie et peut témoigner...

 

2 cantatrice Bouisseville Georges M Martin

 

                        Georges Lorenzo en Mr Martin avec une comédienne du Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne dans La Cantatrice chauve d'Eugène Ionseco, mise en scène par Abderrhamane Kaki au Petit Théâtre d'été, de Bouisseville, en août 1960.


        Janine Kotwika, soucieuse de valoriser l'illustration, genre qu'elle aime plus que la littérature, fait la même erreur que toi en laissant dire à Galeron ses falsifications de complaisance et de justification mais sans jamais parler de son inculture littéraire.


        Et Lapointe fait pareil en prêtant à Quist l'idée de Pierre l'ébouriffé alors que Quist n'avait jamais entendu parler ni d’Heinrich Hoffmann ni, bien entendu, de la première édition en 1850 de Pierre l'ébouriffé...


        Je continuerai à t'envoyer, au risque que cela te gave, au fur et à mesure que je les relis une dernière fois, les parties de mon “parcours...” que je me prépare à envoyer à mon cousin Michel, mon légataire et à Hélène Valotteau et Viviane Ezratty pour les archives. Mais avec interdiction de les communiquer.


        Cette interdiction est aussi valable pour toi et j'espère qu'avant de publier ton livre, tu me donneras à lire les parties qui me concerne.


        Quant à ce qui est de mon parcours, s'il y a publication un jour, je ne serai plus de ce monde.
        Ci-joint deux textes qui sont en quelque sorte des préambules au récit des trois rencontres que je fis avec A.M Cocagnac.
        Aujourd'hui mon système word est complètement perturbé et je ne peux plus rien entreprendre... Il va certainement me falloir appeler un dépanneur...
        A bientôt. FRV

 

 

 

2021/02/04 A LB

 

        Voici des textes que j'hésitais à t'envoyer mais faisant le tri c'était vers toi ou bien ma déchetterie.
        Comme je les avais écrits à ton intention, ils sont à toi et fais-en bon usage. FRV

 

2021 02 03 DE LB

 

        Mon cher François,

        Merci de me permettre d’être l’alternative à la déchèterie de tes courriers non envoyés !

        Ceci dit tes mots sont francs et émouvants, qu’il s’agisse de situations passées ou présentes, ils m’ont touché.

        Je me demande si tu n’y étais pas plus direct que lors d’autres correspondances. En bref, je t’en remercie.

        Je note que je passe beaucoup de temps à te remercier mais je ne sais que faire d’autre face à toi. Tu te doutes que tu n’es pas un interlocuteur anodin. Ceci dit tu n’as jamais rien exigé de ma part, ce qui est bien plaisant.

        Ça me fait penser qu’il faut que je te dise que nous avons changé de titre : La Littérature en couleurs était trop associé à Janine Despinette et les pisse-froid qui gardent son temple (et qui ne parviendront qu’à l’enterrer une seconde fois) étaient trop suspicieux pour que les choses se passent bien.

 

        J’en ai donc inventé un : Les Images libres, sous-titré Dessiner pour l’enfant de 1966 à 1986. Ce titre nous réjouit même davantage à dire la vérité.

 

        Je recense présentement les images et je suis retombé sur les Harlin Quist Games, le diptyque dessiné par Lapointe à Francfort. Je t’en remets un volet en pièce jointe pour te demander s’il t’est possible d’identifier les six personnages caricaturés en arrière-plan.

        Bien à toi,

        Loïc

 

 

2021/02/09 DE LB

        Cette petite librairie de Boissy m’intéresse parce que Marc Soriano la cite dans son Guide.
        Enfin… il la cite sans la nommer, seuls le couple qui y officie est nommé : Claude et Lucien Touati. Il est également écrit que, comme d’autres auteurs ou critiques, tu y passais voir comment les jeunes s’emparaient de tes livres pendant les Ateliers du mercredi après-midi qui avaient lieu dans un local dédié en arrière-boutique.

        Est-ce ainsi que cela s’est passé ?
        Amitiés,
        Loïc

 

 

2021 02 09 A LB

 

        Boissy était pour moi un lieu de recueillement familial et j'avais suffisamment à faire à Paris pour ne pas avoir envie, lors de mes brefs temps de repos, à devoir faire face encore à ces rencontres de promotion-vente.

        D'autant que, généralement, ces rencontres étaient toujours sujettes à controverses. Boissy était un petit village avec beaucoup de ploucs très plan-plan...


        Que les Bocquié-Bermond se soient servis de mon implantation à Boissy pour s'intéresser aux Touati, pas de doute là-dessus !... Mais cela n'était pas fait pour me plaire !...


        Le ton du livre promu “L'essuie-main des pieds” donnait un côté misérabiliste à la cause des pieds-noirs et je n'avais pas envie de me ranger à ce faux compassionnalisme.

        D'autant plus que les Touati m'ont snobé chaque fois que je leur ai rendu visite. Le fait de se mettre une kippa pour se sentir important n'était pas pour me plaire. La foi se doit, selon moi, d'être discrète. Elle fait partie de l'intime de l'être et se doit de fuir tout exhibitionnisme.
        En fonction de ce qui se disait sous le manteau à propos de mon nom prétendument juif, aussi bien à Paris qu'à New York, je me trouvais chaque fois obligé et condamné à me justifier de ce que je n'étais pas, ou des choix d'auteurs et d'illustrateurs que je faisais ...etc... Confronté chaque fois à des personnes qui se préoccupaient certes de l'éducation des enfants et étaient apparemment pleines de bonne volonté, mais qui étaient le plus souvent aussi sans bagage littéraire, sans aucune compétence psychopédagogique et surtout pétries de préjugés et d'idées reçues.


        Je suppose que la notoriété que ces personnes me prêtaient, celle que m'avaient procuré les livres que j'avais publiés, faussait la partie. Alors que je n'avais rien fait selon moi pour m'attirer cette notoriété sinon être déterminé à suivre mes goûts et mes aptitudes littéraires, graphiques et pédagogiques, selon ma pente et mes intuitions naturelles.
        Ces personnes-là avaient besoin de s'achopper aux propositions que contenaient les livres publiés mais moi j'en avais ma claque d'entendre toujours les mêmes arguments répercutés comme des certitudes et des vérités intangibles alors qu'ils n'étaient représentatifs que du conformisme de l'opinion publique.


        La gauche communiste que représentaient Roger Bocquié et Monique Bermond – et Marc Soriano aussi mais de manière beaucoup plus intellectuellement affinée –, avec certainement, mais de manière plus ambigüe les Touati, aurait voulu chapeauter tout le mouvement de renouvellement de la littérature pour la jeunesse pour prouver sa supériorité sur les mouvements culturels capitalistes d'influence américaine, défendus par la droite française ... et je ne voulais pas que l'on m'oblige à choisir un camp ou l'autre. Pas question pour moi de tomber dans ce binarisme stupide !

 

        Cela d'une manière très radicalement nette, c'est-à-dire que l'on applaudisse ou que l'on disqualifie les livres que je publiais !


        En conséquence de quoi, je n'ai jamais demandé aux auteurs et illustrateurs de quels bords ils étaient. Par contre je peux dire que jamais un auteur ou un illustrateur juif ne m'a jamais sollicité. Ce qui me donne le droit de penser que courait, sous le manteau, un discrédit de ce que j'entreprenais qui émanait de la diaspora.
        Une exception cependant : Raymonde Krief lorsqu'elle devint directrice du CRIF parce qu'elle m'avait connu à Oran !... Mais, de toute façon, pour me signifier, en aparté à voix basse, que sa hiérarchie lui demandait le contraire de ce que je préconisais dans les livres que j'avais publiés...
        C'est en raison aussi de ce refus de me situer publiquement dans un camp ou dans l'autre que je n'avais pas adhéré aux propositions de Jacques Lang de soutenir Mitterrand !...

         Représentant plus ou moins la littérature pour la jeunesse en marche il me semblait injuste et inutile de lui donner a priori une teinte politique. Et encore moins ma teinte politique personnelle.


        A quelques temps de là, avec Jacques Cassabois qui est vivant et que tu pourrais interroger, nous avons même refusé d'accorder aux Bocquié-Bermond de nous compter sur une pétition qu'ils avaient rédigée, je ne sais plus pour quelle cause exactement, en leur signifiant qu'ils voulaient s'arroger, en l'attribuant aussi à leur parti, tout le mouvement de régénération et que c'était malhonnête... Et nous leur avons reproché leur exclusivité de parole en matière de Littérature pour la jeunesse sur France Inter puisque nous avions appris qu'ils se battaient auprès de leur direction pour interdire que d'autres journalistes puissent en parler.
        Sans préméditer ma révolte c'est cependant aussi, pour cette raison, que je me suis investi dans les émissions-débats que lançait Anne gaillard à 10 heures le matin sur France Inter – son mari Yann Gaillard ayant pris la suite, auprès d'Edgard Faure du rôle qu'avait joué Jacques Duhamel –, parce que j'estimais que nous étions dans un pays de droit d'expression et de nuances et que la seule manière qu'avaient les Bocquié-Bermond de parler de la littérature pour la jeunesse n'était ni suffisante ni démocratique.
         Les Bocquié-Bermond étaient des gens du parti et ils avaient des œillères. Avec une tendance à penser qu'ils étaient seuls à savoir dire la vérité en toute chose. Ils me connaissaient bien et je crois même qu'ils m'aimaient bien puisqu'ils m'avaient encouragé depuis mon arrivée à Paris en 1963, lorsque j'étais chef de troupe et acteur au Théâtre de la Clairière...

 

1963

 

        Mais cela dit, je reste persuadé que c'est parce que je ne suis pas un homme de parti et parce que je voulais pas le devenir, que Les Bocquié-Bermond ont fini par rejoindre le camp de ceux qui m'ont laissé carrément tomber lorsque Delarge, en 1977, a édité un Pierre l'ébouriffé avec un texte de sa femme approuvé à la fois par Françoise Dolto et par le fourbe Claude Lapointe... puis ensuite, en 1981, lorsque Bernard Foulon de Hatier-L'Amitié censura le texte de Michel Tournier La famille Adam.


        Ce silence-là je ne peux l'oublier car ces deux coups-là furent mortels pour moi.


        Le guide de Marc Soriano fut, avant la ré-édition qui était programmée chez Flammarion, en cours de révision et de remaniement. Bernadette Bricout qui avait pris la suite à  ParisVII-Jussieu de Marc Soriano et Myriam Boutrole-Caporal en avaient la charge. Ci-joint une photo de cette époque où nous avions formé une équipe autour de Bernadette Bricout et de son ami le conteur Henri Gougaud dans laquelle figurait aussi Hugues Liborel, le psychanalyste qui soignait des adolescents psychotiques dans l'Hôpital de jour du 14 ème Arr. par la lecture de textes et que je souhaitais faire entrer dans le Conseil d'administration du CRILj et du CIELJ.

 

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De gauche à droite Lydia Gaborit, Myriam Caporal, Frv, Henri Gougaud, Hughes Liborel, Aurélien Bricout-Gougaud, Bernadette Bricout, un ami d'Hughes Liborel.


        Il me semble avoir déposé dans mes archives des brouillons de ces remaniements prévus et adoptés par Marc Soriano, alors qu'il était devenu, en raison de sa maladie dégénérative, incapable de les mener jusqu'à publication.
        Après sa mort, Françoise Soriano son épouse et ses trois filles refusèrent d'ajouter, comme je le demandais, dans la réédition du Guide qui était en cours, ces remaniements et elles reprirent les droits du guide chez Flammarion pour les donner à Delagrave.
        Je t'ai posé une question à propos de ce nouvel inscrit sur mon blog, François Piron : me permets-tu que je lui donne tes coordonnées pour qu'éventuellement, puisqu'il organise des expositions, vous puissiez collaborer?....

 

 

2021 02 15 A LB

 

          Sans l’avoir cherché, je me sens obligé de reprendre mon fil jaune, celui, tu te souviens, qui me faisait dire pour évoquer mai 68 « Ce en quoi j’ai cru et qui m’a mené là où je suis allé... »

 

        Je dis bien sans l’avoir cherché alors que remuant le passé, à ton intention, alors que je relisais des bribes de ce que j’ai écrit à plusieurs périodes de mon parcours, à propos de mon entrée en édition, dans le “bocal” de St Germain des Près, en 1963, je retrouvais ces personnages, les poissons rouges du bocal, avec qui j’ai frayés et qui me mèneront à Harlin Quist et aux livres que j’ai édités.

 

       Ces écrits sont sinueux et assez lourds de détails et je suppose, selon mes craintes, qu’ils ne devraient pas intéresser grand monde alors que, les considérant comme faisant partie des contextes historiques, je m’efforce laborieusement de les retrouver dans ma mémoire afin de les reporter et de les transcrire le plus fidèlement possible.

Ces jours-ci j’en étais donc à rassembler les divers morceaux où j’ai évoqué, à plusieurs reprises mais de manière discontinue dans le temps, au fur et à mesure que je découvrais, à l’occasion de mes voyages à New York où il était célèbre puisque fondateur, pour sa partie, en poésie, de ce mouvement artistique appelée “L’école de New York”, la personnalité de John Ashbery, jeune poète américain richissime puisqu’il était l’héritier de celui qui avait fondé la revue internationale Art News...

 

 

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        Je n’ai pas cherché à rencontrer John Ashbery.

 

       Hasard et coïncidence voulurent que c’était l'intérêt que je manifestais pour deux numéros qui venaient de paraitre de la revue Bizarre que je venais d’acheter à la Hune et que je dévorais assis à une table des Deux Magots qui provoquèrent, parce qu’il avait participé à l’élaboration d’un de ces deux numéros de Bizarre, l’attention que John Ashbery m’accorda.

 

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Le deuxième numéro de bizarre que j'achetai ce jour-là traitait de dessins d'humour, ceux qu'il ne fallait pas mettre entre toutes les mains...

 

 

       Je t’envoie ci-joint tout le texte intitulé L'esprit français. Contre cultures (1969-1989) de François Piron pour qu’éventuellement tu comprennes mieux que mon intention, pour ne pas t’ennuyer et t’encombrer de détails qui ne t’apporteraient rien pour t’aider à écrire ton livre, n’allait pas dans ce sens.

 

       C’est François Piron qui en est la cause. Il n’intervient pas comme ce cheveu sur la soupe que je croyais qu’il était, puisque je le prenais pour un de ces thésards qui habituellement viennent butiner sur mon blog et qui, une fois repus, ne me remercient même pas de ce qu’ils y ont pris...

 

       Je me suis renseigné et j’ai découvert sur internet, avec un certain plaisir mêlé d’effroi, que ce François Piron n’était pas né de la dernière pluie et qu’il reprenait, inconsciemment certainement, mais de manière probablement subconsciente, le lien de remaillage avec mon fil jaune, c’est à dire la trame de vie que j’ai partagé avec John Ashbery, et que j’éprouvais, à ce moment précis de mai 1964 avec Raymond Roussel, Locus Solus et ce surréalisme plus intéressant que celui dogmatique et figé dont s’était accaparé André Breton.

 

 

 

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       Bizarre. N° 34 - 35 2me Trimestre 1964 : Numéro Spécial Raymond Roussel - Ferry

 

        François Piron, tu le vérifieras en glanant sur internet comme je l’ai fait, est un personnage plus important qu'il n'y parait... Comme moi, tu pourras savoir ainsi qui il est et ce qui le motive actuellement, au Palais de Tokyo ou aux Beaux-Arts de Lyon...

 

        J’ai bien été obligé de convenir qu’il doit éprouver ce même intérêt pour des êtres et des causes que je partageais en 1963, que nous partagions, avec tous ceux, auteurs, illustrateurs, artistes et autres êtres que nous avions élus, en raison d’affinités diverses et diffuses qui représentaient notre fratrie.

 

        Son intervention ces derniers jours dans ma vie, juste au moment où je relisais ces écrits relatifs à John Ashbery, à ce numéro de Bizarre relatif à Raymond Roussel, Locus Solus... etc... fait partie de ce fil jaune dans lequel, il me semblait, mais sans en être bien certain, que tu avais pris ta place.

 

       Je ne voulais pas t’en parler. Cela me semblait aller de soi...

 

       Mais si je t’en parle aujourd’hui c’est parce que j’ai pris conscience que je ne dispose plus de mes forces d’autrefois. Je n’ai plus assez de temps devant moi.

       Je crains et j’ai peur de ne pas pouvoir terminer de mettre en ordre les documents que je détiens et que je souhaite léguer à la Médiathèque Sagan...

 

       Je me suis rendu compte de cela justement en rassemblant chronologiquement ces diverses versions écrites au fil du temps et en essayant de reclasser les photos témoins. Celles que je voulais t’envoyer de 1965, prises rue de Montreuil sont passées et abîmées... J’ai quelque part les négatifs de ces photos... J’ai même les négatifs des photos que je prenais avec mon premier boitier, celui que m’avait offert mon “petit père de la conséquence” en 1936, j’avais 5 ans...

 

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Émilienne mon épouse et Harlin Quist, chez moi, dans le 33 m2 de la rue de Montreuil au cours d'un diner bien arrosé.

 

        Mais je n’ai plus la force de les retrouver et de les faire retirer...

 

       Je n’ai plus la force non plus de chercher à comprendre ce que me veut François Piron... J’ai essayé d’ouvrir son message dropbox et n’ai pas réussi et compris que quoi qu’il puisse me dire cela me demanderait bien trop d’efforts pour le lire alors que cela ne m’intéressait pas vraiment ...

       En conclusion de quoi, je t’envoie ce message que tu pourras certainement, j’en suis persuadé, ouvrir et, si tu réussis, renvoie-le-moi éventuellement pour que je sache ce que tu auras découvert...

 

       Néanmoins, ne serait-ce que par politesse, je vais répondre à FP pour lui expliquer que je ne suis plus dans la course et qu’il vaut mieux qu’il envisage avec toi ce qu’il voulait et croyait pouvoir attendre de moi.

 

      Présumant qu’il n’était intéressé que par les illustrations, je lui ai envoyé le recensement des illustrations qui m’a servi de carte de vœux...

 

      Ses responsabilités à Lyon lui ont peut-être permis, s’il a grandi dans la ville, de connaître Maurice Garnier et Jean Claverie...

 

    C’est certainement aussi de cette fratrie qu’il se revendique.

 

       Aide-moi, reprends le relai.

      Avec mon amitié. FRV

 

 

 

2021 03 15 A LB

 

 

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9. DÉPÖT D'ARCH...ES A RENDRE.docx (4,4 Mo) Télécharger | Porte-documents | Supprimer

 

 

        Tu me manques...

 

        ... Au double sens du verbe.


        Raison qui m'incite à te communiquer ma lettre à Viviane Ezratty puisqu'elle me parle de toi et aussi l'article sur mon dépôt d'archives très romancé qui retrace un peu un historique.


        Mais tu ne trouveras rien dans ce chapitre de ma vie qui pourra te servir pour ton livre
        En espérant que cela ne t'ennuiera pas trop ...


        Je termine actuellement le récit de mes rapports avec les pontes catholiques dans ce chapitre sur le Père Cocagnac et tu pourras peut-être là te rattraper.


        Encore que, selon ce que je présume et que je crois, tu ne t'intéresse pas trop aux contextes alors que je pense au contraire que mon rôle est de parler et de rappeler dans quels contextes les livres que j'ai publiés ont été créés.


        Je viens de me faire vacciner et je vais me faire opérer de la cataracte...

        A bientôt de t'entendre.

 

 

2021 04 07 DE LB

 

        Hello François,

        Merci pour tes lettres, tout ce contexte, tous ces détails permettent de saisir l’époque avec précision - et l’état d’esprit du premier protagoniste!

        De mon côté j’étais à Lyon la semaine dernière pour présenter le projet d’exposition aux équipes de la bibliothèque de la Part-Dieu concernées. Le matin je fus interrompu dans mon exposé par un des menuisiers (ils ont des menuisiers en interne dans cette bibliothèque, ça ouvre des perspectives de scénographie…) qui avait reconnu le Conte n°3 illustré par Philippe Corentin! Comme moi il avait eu cet album enfant dans sa bibliothèque.

        Tout le monde est enthousiaste et conscient de l’importance du sujet, c’est plaisant. Le titre du livre Les Images libres ne les inspirant que peu, quelqu’un a proposé Il n’y a pas de livres pour enfants… qui a beaucoup plu. C’est un titre que j’avais évoqué pour le livre en premier lieu mais qui avait été écarté. Plus adapté à un évènement qu’à un objet. Or il s’agit d’un évènement, alors pourquoi pas? Qu’en dis-tu?

        Et toi, ces jours-ci, comment vas-tu? Les oiseaux fréquentent-ils ton balcon à la faveur des jours qui commencent plus tôt? Depuis ton message précédent as-tu reçu une seconde dose de vaccin?

 

        Je pensais hier à l’éditrice Ursula Nordstrom, est-ce que c’est quelqu’un dont vous évoquiez le travail quand tu étais à New-York, au-delà de Max et les Maximonstres? Sais-tu qu’une partie de sa correspondance avec ses auteurs et illustrateurs a été publiée il y a quelques années?

 

        À très bientôt,    Loïc

 

 

 

2021 04 16 A LB

 

        Je reviens vers toi avec un peu de retard parce que mon blog explose en ce moment et parce que j'avais besoin, le confinement n'étant pas suffisant, de rester dans ma bulle pour mieux cerner mon passé et les idées forces de cette époque des années 68-88.
        Le titre que tu proposes me parait être une resucée de mon Il n'y a pas de littérature pour enfants et je ne l'approuve pas.

 

        Mais libre à toi.

 

        Je serai enclin mais sans référence puisque je ne sais pas ce qu'il y a dans ton livre à prendre un titre qui parlerai plutôt, d'une manière plus grave, de l'importance qu'ont, que doivent avoir les  deux types de lectures, littéraire et graphique, et de ce que j'avais appelé dans l'affiche de la littérature en couleurs :

 

       Conceptions et tendances

dans les textes et les illustrations

des livres contemporains 

pour l'enfance et la jeunesse

  des vingt dernières années 

 

        Mon texte de présentation était précis :

 

   "Du bleu ciel à l'outremer, du vert tendre au vert bronze, du rose au rouge, diaprée de toutes les nuances de gris, marron, violets et noirs, en ces vingt dernières années, secouant les recommandations trop prudentes des psychopédagogues des
générations de notre après-guerre, la littérature pour la jeunesse a troqué ses vêtements aux tons layette, un peu trop idéalement et délicatement choisis pour protéger les enfants de tout traumatisme, et s'est faite aux couleurs d'eau-forte de
notre époque, à la mesure des créateurs, des théories, des techniques et des contenus nouveaux.


        Viviane m'a donné à lire son texte et je le trouve correct mais banal.

 

        Lui demander d'écrire une postface sans qu'elle sache ce que tu mets exactement dans ton livre me parait prématuré...


        Je t'envoie une tartine qui aura de quoi t'ennuyer mais les faits sont les faits. Ils sont certainement ennuyeux mais ils sont explicites.

 

        Je veux dire pourquoi les livres pour la jeunesse sont ce qu'ils sont en France en rappelant qu'il y a des théoriciens et des théoriciennes, des femmes souvent incultes, graphiquement surtout, mais à la solde d'hommes de pouvoirs, des gens d'églises et des matérialistes politiques – qui étaient tout puissants à cette époque-là, même après 68, qui le sont moins actuellement –, mais qui jouaient un rôle important sur le conformisme des livres pour enfants.

       Je te recommande particulièrement en fin des chapitres que je t'envoie, la position réformiste des gens qui avaient créé “ l'Atelier populaire des Beaux-Arts de Paris.” d'où sortait Maurice Cocagnac.

 

          En bons matérialistes ils avaient décidé de bannir tout l'art abstrait et l'impressionnisme pour n'adorer que le figuratif parce que représentatif du réel.


         Avec ces plus de 200 pages tu en as au moins pour un mois.

 

        Si je suis encore en vie j'aurais du plaisir à savoir ce que tu as pu en tirer...


        Pendant ce répit, je vais m'occuper de François Piron – pour organiser une expo sur Claveloux dont je parle en fin d'un chapitre –, tandis que je suis en train de terminer un recensement des posters de l'époque 68, à New York plutôt qu'à Paris puisque je vivais là-bas : ceux de Jean-Paul Goude et Grace Jones, de Tomi Ungerer et des Black Panthers, d'Herb Lubalin et de Malcolm X et... Et, aussi, de ces posters de Nicole qu'elle recherche actuellement dans son grenier et qui n'ont jamais trouvé d'éditeur...

 

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                                                              Poster tête à queue de Tomi Ungerer

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Ce poster de Nicole Claveloux, inspiré par les miroirs du célèbre café de Moulins sur Allier faisait partie d'un porte-folio de dix que j'avais emmené avec moi à New York pour le présenter à Maurice Girodias.

 

 

2021 06 08 DE LB

 

        Bonjour François,
        comment vas-tu? vacciné deux fois?
        Mais ça ne m’empêche pas de travailler : quelques dessins pour un pote qui vient d’ouvrir un magasin, des affiches pour la librairie où travaille ma femme et bien sûr toujours le livre et l’exposition à Lyon.
        Nous devons aller la semaine prochaine avec un photographe et un photograveur numériser livres et originaux à l’Heure Joyeuse, ça promet d’être bien.

        En fin de mois je retourne à Lyon où l’équipe de l’expo est bien enthousiaste. Avoir des menuisiers à disposition facilite bien des choses, nous réfléchissons à la scénographie, à ce qu’on pourrait montrer, je fouille dans les immenses silos de cette grande bibliothèque municipale pour en ressortir des merveilles endormies.
        Sinon ma fille souhaite à toute force intégrer le lycée autogéré de Paris l’an prochain mais la question de l’hébergement d’une jeune personne qui n’aura pas encore quinze ans à la rentrée se pose cruellement. Sans compter du coût. Mes parents ont étrangement (ou pas, c’est selon) refusé de l’héberger le temps de ces années de lycée.

        Bref la vie continue avec ses surprises bonnes et moins bonnes.

        Et de ton côté ? Comment va Grenoble ? Comment envisages-tu l’été qui approche ?
        À bientôt de te lire,
        Loïc

 

 

2021 06 08 DE LB

 

        Ressuscité

        Ha! Nos courriers ont dû se croiser. J’ai plusieurs boîtes mail, certaines que je n’ouvre qu’au bureau, d’autres à la maison uniquement, ceci explique cela.
        J’aime beaucoup ton passage qui justifie le refus de l’anticonformisme. C’est très juste et la médiocrité dominante s’efforce encore et encore de nous faire passer la beauté, l’intelligence comme des choses inaccessibles, voire inacceptables.

        J’ai déjà été confronté à ça dans mon travail de graphiste et la solution qui s’est mise en place, presque malgré moi mais c’est une sorte de réflexe de survie, est de ne travailler qu’avec des gens que j’aime…. ça réduit le champ d’action, je le reconnais, et favorise une forme d’entre-soi. Mais que faire?

         Je me souviens d’une enseignante à la fac qui nous conseillait de nous entourer d’intelligence, à la fois dans le choix des œuvres et dans le choix des personnes.
        Pour en revenir au texte de Viviane, je ne pense pas que son intention ait été autre que de souligner l’effet de rupture par rapport à la production française d’après-guerre en matière de livres pour enfants. Mais tu le sais et son parcours est un éclairage suffisant sur ses mots.
        À bientôt, ici ou là,
        Loïc



2021/06/08 A LB


         J'ai accusé la postface de Viviane de banalité et justifie mon terme par le message que je lui ai adressé – pour lui dire que je n'étais pas un anticonformiste –, et que je te transmets.

 

         Beaucoup de temps morts en ce moment mais c'est l'époque !...

 

         J'espère cependant que tu continues de te battre.
>              Cordialement à toi. FRV


        Message adressé à Viviane Ezratty :


>      J'ai eu un coup au cœur en recevant votre dernier message signé Joël Livartowski, supposant qu'il vous était arrivé malheur!...


>      Puis rassuré par le ton de reprise de notre conversation interrompue, j'ai respiré.


>      Pour ce qui est de “Changer le monde”, pas étonnant que la plupart des personnes qui pourraient témoigner se défilent.


>      Pour être médisant je dirais que tous les constats que j'ai pu faire dans le passé lorsque j'étais en activité m'ont forcé à admettre que la plupart des bibliothécaires, à l'image de leur icône Geneviève Patte, se faisaient un devoir de ne pas remettre en cause leur statut de re-transmettrices des productions de l'édition française d'héritage, seule considérée comme susceptible de figurer dans les bibliothèques françaises. Je parle bien entendu du réseau des livres pour la jeunesse
>      Là est le conformisme. Un conformisme d'état prépondérant, de type éminemment religieux et capitaliste même s'il est difficile, tant il est subrepticement d'endoctrinement, de savoir qu'il procède d'un système de subjugation et au mépris des suggestions de lucidité et de réflexion.


>      Le statut des bibliothécaires ressemble à celui des gens d'armées et de police : être au service de l'état quel que soit la couleur des gouvernements qui se succèdent.

 

        C'est-à-dire ne pas avoir d'état d'âme et faire taire ses propres convictions.


>      J'aimerais que Loïc vous dise, lui qui s'efforce d'organiser des expositions et des communications dans le Bibliothèques ce qu'il m'a dit à propos des bibliothécaires...


>      J'avais commencé à réagir à propos de la fin de votre postface où vous parlez d'anticonformisme et puis j'ai baissé les bras... A cause de cette époque, de ma lassitude à toujours avoir à expliciter et à remettre les choses dans leurs contextes historiques... pensant que, si Loïc ne voyait rien de désobligeant à cela, je n'avais rien de mieux à faire, puisque c'était son livre – dont je n'ai pas eu l'honneur de lire le moindre paragraphe et la moindre ligne – que de me taire.
>      Je vais reprendre mes réflexions pour vous faire comprendre que ce mot d'anticonformisme est une manière pour vous, de donner raison au sous-genre qu'était devenue, surtout en matière d'illustrations, la littérature pour la jeunesse française, mise sous tutelle depuis 1949, par les influences américaines des Petits livres d'or et surveillée et contrôler par les pouvoirs des différents psys devenus omniprésents en matière d'éducation.


>      Il faut admettre, c'est-à-dire croire, que ce genre de livres pour la jeunesse, neutralisés et pasteurisés, soit l'idéal admis par tous et le genre référent, adopté par l'opinion publique majoritaire, pour se sentir le droit d'accuser les autres livres qui se réfèrent pourtant de la tradition française et internationale de l'illustration, comme étant des livres anticonformistes.


>      Rien de tel que des ultras conservateurs-trices pour forcer quelqu'un qui cherche à renouveler le genre illustration, à partir des propres racines de ce genre, à passer pour un marginal.

         

         C'est ce qui m'est arrivé!


>      C'est ce que – sans mauvaises intentions toutefois –, vous faites, en créditant ce mouvement dépuration venu d'outre-Atlantique et approuvé au nom d'un soi-disant modernisme thérapeutique par nos psys et, de ce fait, ensuite plébiscité par l'opinion publique ... Mouvement que, selon ce que je comprends et suppose , vous considérez comme conformiste... pour terminer par considérer les tendances de renouvellement de l'illustration amorcées par Tomi Ungerer, Maurice Sendak et Delpire puis par Jean Fabre à l'École des Loisirs, et par moi-même comme « anticonformistes ».


>      Pour ma part, mes motivations étaient claires, venu aux livres, à partir de 1946, j'avais 15 ans, date où je suis devenu responsable bibliothécaire, disposant d'un lot de livres qui me firent prendre conscience des beautés et vertus des illustrations de nos grands illustrateurs français et européens, je ne pouvais m'inscrire que dans cette lignée-là, considérée comme traditionnelle et classique et nullement anticonformiste...

 

        Prise de conscience qui fut réimpulsée lorsque, piqué par le challenge, je fus confronté au yankee qu'était Harlin Quist, avec pour seule idée en tête de le ramener sur nos voies autochtones de l'illustration de tradition française mais aussi européenne.


>      Je veux dire par là que je n'étais pas et ne me sentais pas anticonformiste même si pour marginaliser les livres que je produisais, Geneviève Patte avec l'appui de la majorité des producteurs français et des institutions de prescription gagnées à sa cause, se sont toujours efforcés, par intérêts de statut, de prestiges et d'économie, de me marginaliser.


>      Avec mon amitié. FRV

 CORPS DU MESSAGE A LOÏC BOYER

 

       Je réponds à ton message en te remerciant.

 

       Oui, en te remerciant, même si tu persistes à dire que je me rétracte.

 

       J’ai l’impression que – c’est ce qu’il me semble ! –, que tu n’as pas très bien compris le fond des choses et que tu les expliques sans les avoir souffertes, avec un décalage de trente ans au moins sur moi, et avec ton regard à toi – car, en gros, je pense que je dois avoir au moins trente ans de plus que toi –, mais sans en plus, vouloir en prendre conscience et en ayant le sentiment que je voudrais te forcer la main.

        Aussi, pour te rassurer, je pense qu’il me semble nécessaire que tu comprennes que lorsque j’ai déposé mes archives à la demande de Françoise Lévêque et Viviane Ezratty, j’ai alors pensé et cru bon, par pudeur certainement et parce que j’estimais que je ne devais pas déballer mon linge sale, de ne donner aux archives que ce qui, dans mon parcours d’ambitions simples, relevait uniquement du domaine professionnel...

 

       En coupant même, particulièrement dans la correspondance que nous avions Harlin Quist et moi-même, toutes les parties intimes et haineuses qui, il me semblait, ne devaient pas transpirer...

       Car elles auraient pu n’attirer et n’intéresser que des curieux qui, comme Cécile Boulaire, auraient pu continuer, comme cela était programmé et exercé dans certaines institutions culturelles, La Joie par les livres le CLNJ et la BNF, et dans certaines maisons d’édition d’héritage, Gallimard entre autres, depuis mon apparition en édition, à me dénigrer, en dévalorisant systématiquement, mais en s’en inspirant ensuite, des livres que j’ai initiés et publiés.

         Je suis actuellement occupé à terminer de ranger et de classer les derniers documents que je lèguerai bientôt et que je n’avais pas, faute de temps et d’envie, mis au point en 2012 lorsque j’ai déposé mes archives à l’Heure Joyeuse. Font partie de ce second lot des témoignages plus personnels et plus intimement détaillés, des vérités de coulisse en quelques sortes, que je voulais et que je veux encore ne donner que le plus tard possible pour ne pas entendre le bruit que ces vérités feront si elles sont publiées ou si elles sont consultées à la Médiathèque Sagan.

 

        Ce qui veut dire que parmi tout ce que tu as pu consulter à Sagan, tes interprétations, car il s’agit bien de tes interprétations sur des faits que tu n’as pas vécus, risquent de se voir contrariées et remises en causes par ce que tu pourrais lire lorsque j’aurais livré le tout.

 

       C’est donc en raison de ces interprétations qui sont forcément partielles, que tu t’autorises à faire, parce que tu n’as pas toutes les pièces en main, que je j’ai pu te reprocher de falsifier les faits.

      Pour Delessert dont à plusieurs reprises des amis m’ont signalé que tu prétendais avec lui, abondant dans son sens de falsificateur, dans une vidéo de Cligne,Cligne Magazine qu’il était à l’origine des Quatre contes de Ionesco... j’ai préféré me taire quand on me l’a appris, la haine que Delessert avait décidé de me vouer remontait à loin, mais cela m’a permis de penser que tu avais choisi ton camp et le parti des illustrations et des illustrateurs et j’ai préféré me taire en espérant que tu comprendrais plus tard.

        Tout en étant obligé de sentir et de devoir admettre que tout ce que je pourrais dire pour remettre chacun à sa place et dans son rôle, selon ses responsabilités, à propos de Delessert, de Couratin, de Galeron, ou même de Lapointe... dont je n’ai jamais, au grand jamais, nié les talents – puisque je ne les aurais jamais sollicités s’ils n’en avaient pas eu –, ne te plaisait pas...

 

       Je compris que tu n’étais pas prêt dans ton admiration inconditionnelle pour leur talent et leurs mérites professionnels, à voir et à distinguer leurs défauts de cœur et d’esprit. En somme tu te comportais avec eux en groupie et en fan et tu te foutais pas mal de la manière dont ils se poussaient dans la vie et dont ils flinguaient, pour s’attribuer tous les mérites, les idées qu’ils avaient volées et les collaborateurs qui les avaient aidés.

       Le moins que je puisse dire est que tu as tendance, par confraternité, à les survaloriser en oubliant qu’ils n’étaient pas, en général, pour les livres que nous avons réalisés ensemble, les initiateurs décisionnaires mais des collaborateurs actants et suivants.

 

        Dans la gente des illustrateurs que j’ai rencontrés, la plupart étaient – Delessert en étant, de tous ceux-là, l’archétype –, du genre à penser que l’éditeur, n’était qu’un homme de main au service de leur talent.

 

       C’est cette attitude-là que Delessert avait adoptée avec Quist après que je l’aie recommandé lorsque je l’ai rencontré, en 1965, chez Hollenstein à Paris. Et c’est à cause de cette attitude d’arrogance stupide que je n’ai jamais voulu signer un contrat directement avec lui. Tous les contrats pour Sans Fin la fête, l’arbre et les deux premiers Contes de Ionesco furent signés par moi avec Quist qui, lui, signait avec Delessert et sa femme Eleonor Schmid...

 

       Cela n’a l’air de rien mais cela dit exactement la méfiance que j’éprouvais, face au pataud lourd qu’était pour moi le petit suisse Delessert ! Une méfiance qu’il sentait car il essaya de me passer la main dans le dos tandis que je lui faisais comprendre, le remettant à sa place, qu’il ne m’aurait pas et qu’il perdait son temps.

 

       Et c’est parce que j’ai refusé après Sans fin la Fête, d’entrer dans la petite combine qu’il avait monté avec sa femme où lui et elle étaient tantôt l’auteur, tantôt l’illustrateur, en refusant de publier les deux torchons qu’ils avaient concoctés  Franz Tovey and the rare animals puis Horns everywhere, qu’il a compris qu’il ne m’aurait pas, qu’il m’a haï et qu’il a essayé de me faire passer pour « un pauvre petit instit » puis « un pauvre type » à qui il ira jusqu’à souhaiter la mort dans une message que je peux te faire parvenir si ça t’intéresse.

 

       Encore une fois il ne s’agit pas pour moi de te demander de raconter toutes ces turpitudes mais de remettre chacun à sa place, selon ses responsabilités, comme tu as d’ailleurs l’air de le penser et que tu exprimes fort bien dans la partie de ton message : « Le propos de ce livre était...» ...

 

      Paragraphe que je vais commenter ci-après...

 

      Mais pourquoi dis-tu « était » ?... N’y es-tu pas arrivé ?...

 

     J’ai pas mal travaillé à partir des documents que tu as déposés à l’Heure Joyeuse, me concentrant principalement sur ceux de ta main et qu’aujourd’hui tu contestes. De la même manière, certaines informations que tu m’as données quand nous nous sommes vus et que tu as bien voulu répondre à mes quelques questions, ne semblent plus valables aujourd’hui.

 

       Crois-moi, Loïc, j’ai encore la chance d’avoir toute ma lucidité et ma mémoire et je ne crois pas t’avoir dit, et n’avoir jamais dit autre chose à personne, que ce que je t’ai rappelé : à savoir que le premier salut que Maurice Sendak me fit, lui et pas moi – Puisque je ne l’avais jamais rencontré auparavant en ignorant même qu’il faisait partie du jury du New York Times qui avait attribué à mon livre Le voyage extravagant, illustré de manière très moderniste par Nicole Claveloux, le premier prix des dix meilleurs livres de l’année et à Conte Numéro 1 d’Eugène Ionesco illustré par Étienne Delessert, la cinquième place –, fut cette phrase, terrible pour moi : « At least I met the french shadow !»

        Phrase qui aurait pu passer comme une boutade sans importance alors qu’elle me mettait soudain devant un fait accompli : Pour New York, alors que cela faisait trois années que je travaillais à donner mes idées d’édition à Harlin Quist et à Joan Bradford son directeur artistique, je n’existais pas.

        Harlin Quist, jouant les surhommes avait soigneusement et traitreusement, pour passer comme l’initiateur de ce que j’avais contribué à améliorer et à faire évoluer dans le sens contemporain du terme dans ses productions, rayer mon nom de tout ce que je lui avais apporté, y compris de ces deux livres qui étaient primés, alors qu’il avait même, pour ce qui était du Voyage extravagant et des illustrations de Nicole Claveloux, eut beaucoup de mal à reconnaître leurs singularités et leurs qualités d’originalité et de maîtrise...

       En allant jusqu’à essayer de m’interdire même, à la Foire de Francfort de l’année précédente, de montrer aux éditeurs étrangers qui venaient sur notre stand, les illustrations du livre en cours parce qu’il ne les aimait pas et qu’il avait trouvé comme prétexte de dire qu’elles étaient « unprofessional »

 

        En somme, il fallait bien que je me fasse une raison, cette boutade de Sendak m’ouvrait les yeux et elle était venimeuse.

        Sendak n’aimait pas Harlin Quist... Lequel était, ce soir-là, dans ses petits souliers, embarrassé parce que j'étais présent tandis qu'il tenait à jouer, devant la parade élégante de la plupart des membres représentatifs de l’édition pour enfant newyorkaise, l’éditeur supporter, compatissant de l’auteur que j’étais, mais pour mieux masquer le rôle d’initiateur décisionnaire que j’avais été pour ces deux livres qui venaient d’être primés.

 

        Que le lecteur comprenne bien que ces deux prix faisaient de moi, pour des raisons d’orgueil professionnel, le concurrent vainqueur à la fois d’Harlin Quist et d’Étienne Delessert, et donc, parce qu’ils étaient vaniteux et qu’ils ne me pardonnaient pas de les avoir mouchés, leur ennemi pour toujours.

 

        Cela dit, ce soir-là, après avoir dégluti l’accueil confraternel de Sendak et sa phrase révélatrice, tandis qu’Harlin Quist reprenait contenance et qu’Étienne Delessert s’éloignait pour ne pas participer aux différents hommages que je recevais, je compris que Sendak se servait aussi de moi – comme il me l’avouera par la suite puisque nous devînmes amis –, pour se venger d’Harlin Quist dont il détestait l’arrogance et son utilisation abusive dans la promotion de ses livres d’une citation d’un prescripteur célèbre (dont j’oublie le nom) qui, à propos des premiers livres d’Harlin Quist avait parlé de perfection : « As perfect as a children book can be ! »

 

        ... Oui, le premier salut de Sendak, fut de me dire, en ouvrant largement les bras et en se foutant carrément de la gueule d’Harlin Quist qui était à mes côtés : « At least I met the french shadow !» 

 

         Puis effectivement, plus aimablement et par courtoisie, tandis que nous nous découvrions l’un à l’autre, mais finement de sa part car il voulait toujours, par simple curiosité humaine, savoir ce que chacun de nous avions dans le ventre, pourquoi j’avais écrit mon livre et pourquoi j’avais aimé le sien...

 

        Maurice Sendak, fin limier, menait une enquête et, en investigateur tenace, comme s’il voulait trouver en nos deux livres des racines communes, il me questionnait pour connaître les raisons qui m’avaient incité à écrire le voyage extravagant...

        Si bien que je fus forcé, alors qu’Harlin Quist participait encore à notre entretien, de lui dire, mais en riant un peu pour faire passer mon énormité, que c’était à partie de lui, Harlin Quist “in person”, et de sa grande bouche, parce qu’il voulait convaincre la terre entière qu’il était en toute occasion plus lucide et plus intelligent que les autres... que j’avais trouvé ma première inspiration...

        Ce que Maurice Sendak approuva aussitôt en riant puisque c’est sous ce jour-là que la réputation d'Harlin Quist s’était faite à New York...

 

       Puis, nous bavardâmes et passant à autre chose, en bon retour de réciprocité, je lui ai parlé de son livre Where the wild things are... en lui rappelant effectivement qu’il avait eu le mérite, pour la première fois, dans la littérature pour la jeunesse, de renverser les rôles de dévoration qui sont généralement réservés aux ogres et ogresses dans les contes pour enfant, ou même à des adultes, dans la vie de tous les jours, nullement chargés de mauvaises intentions, dans les rapports amoureux par exemple, entre gens qui s’aiment et qui veulent intellectuellement et affectivement s’approprier et se nourrir de la chair de ceux qu’ils aiment et notamment des plus jeunes, voire des bébés...

        Insistant, parce que je lisais en lui et que je voulais mieux le comprendre et le connaître, pour qu’il me dise ce qui de lui, en lui, avait motivé l’invention et l’accouchement de son personnage... Et, en lui parlant comme si je généralisais, je me mis à évoquer ces phrases que souvent nos mères, ou nos pères parfois, prononcent inconsciemment sans tenir compte, ni avoir notion de la gravité et de la portée de leurs désirs charnels : « je vais te manger ... Miam, miam je vais te dévorer... etc... »

         Phrases de tendresse et d’amour qui n’ont pas forcément des intentions et des finalités incestueuses mais qui, reprises, retournées et régurgitées par Max, le protagoniste de Sendak, l’enfant prototype se positionnant à égalité, face à sa mère, en lui disant que c’était lui maintenant qui allait la manger... renversait totalement la situation adulte-enfant, mère et fils, en réclamant une sorte de considération d’indépendance et d’autonomie, attestant par là et prouvant, jusqu’à la provocation, qu’il était maintenant devenu une personne... En pédo-psychanalyse, ce renversement des rôles est d’une importance capitale.

 

         Et Sendak m’avouera, lors de notre deuxième et troisième rencontre, pour se déculpabiliser sans doute, qu'il pensait que c’était son amour pour sa mère qui avait été la cause de son homosexualité et qu’il avait eu conscience de s’en libérer en inventant son petit personnage et ces monstres dont il devenait le roi.

 

       Ce « je vais te manger » est ainsi, de la part du protagoniste créé par Sendak, une preuve de réclamation d’indépendance et d’autonomie que généralement les femmes ne voient pas, ou dont elles ne veulent pas prendre conscience...

 

      J’ai plusieurs fois fait le test avec des amies et ai vérifié ce que j’avance... Pour ne citer que 2 cas précis, je mentionnerai :

 

              --Monique Bermond,  qui, la première, en 1967, lorsqu’elle me demanda de parler de l’album dans la traduction de Max et les Maximonstres qu’en avait fait Robert Delpire, à son émission de France Inter, Livre ouverture sur la vie ... Album qu’elle trouvait déplaisant et horriblement gratuit, sans voir l’allusion de Max à sa mère qui était pourtant la raison et le point de départ de toutes les monstruosités...

 

             --Et, dans un second temps, plus récemment, en 2018, c’est Sophie Heywood qui me prouva que la menace de provocation de Max passait encore et souvent inaperçue...

 

         En tous cas, toutes deux n’avaient pas relevé ce « je vais te manger » qui voulait dire clairement : « c’est à moi, à mon tour, maintenant, de te manger pour être considéré comme une personne ! »

 

        Je te rappelle, mon cher Loïc, que les archives des Bocquié-Bermond sont à Nantes pas trop loin des Éditions MeMo

 

        Cela dit, pour le reste car je ne suis pas de bronze, si tu as des preuves nettes et précises de ce que tu m’accuses de contester, je veux bien, si c’est le cas, reconnaître mes torts. Donne-moi des preuves.

        Mais cela en vaut-il la peine ?... Est-ce là le sujet de ton livre ?...

 

        J’ai l’impression que pour complaire aux femmes qui se préoccupent davantage que les hommes de la littérature pour la jeunesse et plus généralement de l’éduction des enfants jusqu’à l’âge de l’entrée en secondaire – la profession se féminisant à outrance et dangereusement à mon avis depuis 1945 –, tu as été doucement mais fermement amené par ces “bonnes femmes” des Éditions Didier et , probablement par la directrice de MeMo – dont on m’a dit quelques mots de son caractère –, à envisager, pour se faire admettre par elles, qui se considèrent assez généralement comme les gérantes majoritaires exclusives de la prescription, et plus largement par le grand public, que ton livre se devait, pour être réussi, avant toute autre chose, d’être dynamique et stimulant, donc positif, guilleret, enjoué... en laissant bien soigneusement de côté tout ce qui pouvait assombrir, attrister et démoraliser les lecteurs...

       Il me semble entendre, derrière ce que tu ne dis pas mais que tu mets en pratique, les propos que tenaient au CRILJ, comme un credo, Janine Despinette et Monique Hennequin : « Les enfants doivent être préservés de tout ce qui est négatif et déprimant. Pour leur donner le goût de lire il ne faut leur présenter et leur parler que des livres qui ne sont pas politiques et qui n’attaquent pas la religion –sous-entendue catholique –, ... etc ... »

         Autre chose encore, je me permets de te faire remarquer que je ne t’ai jamais demandé de prendre ma défense mais que je t’ai fourni, comme à Marie-Pierre Litaudon et comme surtout, pendant cinq années, à Cécile Vergez-Sans, des faits précis, qui sont des contextes historiques dans lesquels j’ai vécu et dans lesquels je me suis débattu pour produire 180 livres.

 

        Je l’ai fait certes pour continuer à satisfaire ma fonction pédagogique de transmetteur, mais aussi parce que j’étais le seul, lorsqu’il s’agissait des livres que j’ai produits, à pouvoir le faire... Cela, afin que toi, parmi tous ceux et celles avec qui je suis en contact par l’intermédiaire de mon blog, compreniez les enjeux politico-idéologiques de cette époque où ils sont parus et dont j’ai été et suis encore le témoin.

 

         Relis mon droit de réponse à Mémoire du livre que je t’ai envoyé et tu comprendras comment, à partir de faits précis que j’ai scrupuleusement mentionnés, Cécile Vergez-Sans s’est permise de tirer, pour paraître plus intelligente et plus fûtée que moi, exactement le contraire de ce que j’avais vécu.

 

        Dans les remarques que je me suis permis d’insérer dans le cours de tes chapitres, il ne s’agissait pas pour moi de te demander de reraconter les vols d’idées et d’initiatives faits par Quist, Fasquelle et Delarge mais de dégager de ces méfaits de pauvres types malhonnêtes, en mal de notoriété et de richesse, la part individuelle, subjective, d’initiative qu’en me bouchant le nez parfois, j’ai persisté à mettre.

 

           On peut positiver sans mentir ou sans travestir.

 

          Je crois que tu ne dois pas te rendre compte du mal que m’ont fait tes survols. J’avais vraiment l’impression que tu te foutais de ce que j’avais vécu... Que tu voulais continuer à parler des livres que j’ai publiés et des illustrations notamment, en traitant la part intime, douloureuse souvent, qui correspondait à ce que nous avons vécu, ma femme, mon fils et moi, à ce que je suis, à ce que j’ai vécu et a ce que j’ai forcément mis indirectement dans ces livres, comme si ce n’était rien de valable, un simple petit coup de pouce ...

        J’ai alors pensé que tu rejoignais la clique de Geneviève Patte et de Cécile Boulaire en refusant de voir, positivement encore, même si je me gardais, par pudeur cette fois, d’afficher, ce qui s’était tramé en moi depuis l’enfance et qui continuait à se tramer en moi, la part d’initiative que j’ai prise, par passion de la lecture d’images et de la littérature, pour recruter certains illustrateurs et certains auteurs, plutôt que certains autres qui me sollicitaient, afin que des livres très précisément circonscrits, auxquels j’étais prêt à accorder toute mon énergie et tout mon temps, voire à payer même s’il le fallait, soient mis en œuvre et qu’ils soient publiés... Simplement, pour qu’ils existent !

 

         Dans ce que j’ai produit, tu as pris, en grapillant, pour réaliser tes vidéos ce que tu as voulu et, je te le rappelle, sans me demander mon autorisation.

 

         Là, il s’agit d’un livre qui va devenir un témoignage historique et j’ai très bien compris que ton intention était de valoriser surtout, parce qu’ils sont tes confrères, les illustrateurs. Cela ne me gêne pas. Mais alors dispense-moi, quand tu parles de moi, de tes commentaires approximatifs et évasifs et ne me mêle pas à Harlin Quist, à Fasquelle ou à Delarge.

 

        S'il te plait, ne cite, lorsque c’est indispensable, que ce qui a réellement dépendu de moi et de mes initiatives.

 

       Pour ce qui est de Catherine Scob et des Éditions Hatier-l’Amitié, je suppose qu'aux Éditions MeMo on t’a interdit de parler de La famille Adam parce que le texte a été écrit par ce vilain protestant homosexuel qu’était Tournier, et qu'il est illustré par Alain Letort qui dessine pointu et que tu sembles ne pas apprécier....

 

A

 

       J’ai retrouvé pour toi des textes-documents que j’avais écrits mais que je n’ai pas jugé bon de t’envoyer parce que je craignais, en fonction de la tonalité de tes réponses à mes suggestions, que tu ne t’y intéresserais pas.

 

       J’avais perçu tes préférences et je sentais bien que ce qui t’intéressait surtout était de parler de tes confrères, les illustrateurs et les graphistes plus particulièrement, parmi lesquels Couratin, Delessert, Corentin, Galeron... ou même Claverie... tenaient le premier rôle.

       Or, comme tu le sais, j’ai eu à me plaindre à plusieurs reprises de la vanité de certains de ces illustrateurs, très précisément de Delessert en premier lieu, mais aussi de Couratin, de Lapointe, de Galeron, de Rozier, de Le sault... qui voulaient à tout prix prétendre qu’ils étaient les initiateurs de mes projets et que je n’avais aucune compétence artistique puisque « je n’étais qu’un petit instit » ou bien que j’étais « un éditeur de nanas »...etc... qui n’avait pas, comme eux, bénéficié d’une éducation artistique ...

 

      C’était leur manière à eux de dire, en bouffis, que leur talent et leur mérite primaient sur mes connaissances picturales et littéraires et sur mon engagement au service de l’action culturelle.

 

       Je ne te demande pas de dire cela mais de dire pourquoi – puisque tu paraissais être étonné que je connaisse Mac Luhan –, c’est en fonction de mon obsession des trois lectures que j’ai sollicité certains auteurs et certains illustrateurs, ceux donc que j’aurais eu plaisir à retrouver dans ton livre, si tu avais considéré qu’ils en valaient la peine et si tu les avais citer.

 

Le propos de ce livre était, dès le départ, de raconter comment dans les 1960-1970 une nouvelle génération d’illustrateurs et d’illustratrices a revitalisé l’édition pour la jeunesse en France à l’initiative d’éditeurs clairvoyants (surtout toi évidemment) qui sont allés les chercher dans la presse et/ou la publicité. Et comment leur œuvre a progressivement infusé au-delà de ces premières maisons d’éditions.

 

     ...Oui dans la presse et dans les publicités mais aussi pour ma part, dans les Écoles de Beaux-Arts, où, par regret certainement de ne pas pu avoir l’occasion de suivre des cours, j’allais toujours lorsque je me déplaçais, de 63 à 65, avec ma troupe de huit comédiens du Théâtre de la clairière, avant même que je ne pense à éditer des livres.

 

1964

 

En tournée vers Royan. De gauche à droite Jo Doumerg, Françoises Champeau, Didier Nivert, Jacques Maréchal, Claudine de Brabander-Vattier, FRV, Jacques Legras, Pierre Fabrice et François Pétriat (debout)

 

      Ainsi en fut-il à Royan, Bordeaux, Nancy, Metz, Tarbes, Pau, Albi, Montauban, Amiens, Lille... et plus particulièrement à Saint-Étienne où, en 1963, j’avais attiré autour de la bande des 9 comédiens que nous étions, dont j’étais le chef de troupe, et d’une poétique que j'avais intitulé La douche écossaise que nous jouions le soir à la Maison des Jeunes et de la Culture, une dizaine d’élèves des Beaux-Arts qui étaient formés par la mère de Claveloux... Et, dans cette équipe, le plus fervent d'entre eux était celui qui deviendra par la suite le metteur en scène célèbre, Alain Françon.

 

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Ta remarque concernant ton absence de deux mois à venir m’inquiète mais j’imagine que si tu avais souhaité m’en dire davantage tu l’aurais fait. Je laisse donc là ce voile de pudeur et en viens à tes remarques.

 

        C’est tout simple pourtant et je garde ma pudeur pour des sujets plus délicats : je n’ai pas quitté mon studio depuis 2 ans et demi et par deux fois depuis, alors que j’étais prêt à descendre à Agay, chez mon vieux copain de théâtre des années 60, Georges Lorenzo, où nous avons projeté de numériser toutes ses photos et ses anciens microsillons, j’ai été empêché et contrarié par le covid.

 

GEORGES

 

 

       Cela pour dire que c’est le seul endroit où je préfère ne plus penser à retrouver ce que j’ai à dire et que je peux encore dire, pour achever le récit de mon Parcours...

       J’en profite alors, quand je suis chez lui, qui n’aime pas l’ordinateur, pour me déconnecter d’internet, en laissant, chez moi, mon ordinateur et ma connexion à internet, en emportant seulement un petit portable qui, sans internet, me permet de faire le propre et de réorganiser mes documents.

 

       Je donnerai à Viviane Ezratty un lien au cas où... Mais sincèrement, j’en ai ma claque de ces histoires où j’ai toujours à me justifier sans que jamais on ne veuille tenir compte de ce qui m’est arrivé.

 

       J’en ai ma claque !

 

       Et tu es la goutte qui me fait jurer que je ne donnerai plus rien à personne.

 

       Mais bonne chance à toi quand même.

 

       Je te souhaite un beau livre ... A toi. FRV

 

 

2021 09 27 A LB

 

        Un dernier mot
        ... J'ai relu le dernier texte que je t'ai envoyé et l'ai trouvé en partie illisible. Il a été écrit sous le coup de l'émotion et à la va-vite parce que j'étais pressé de partir à Agay... Je te renvoie en PJ la version bis plus détendue mais sans modifier le sens de la première version.
        Je suis encore chez moi, alors que j'avais promis d'en être parti le 15 du mois. Car finalement, selon le dicton, un malheur ne venant jamais seul, d'autres contrariétés me sont tombées dessus et m'ont retardé : deux hackers qui ont bloqué mon ordinateur et perturbé même ma free box en m'obligeant à reporter mon départ...


        Je ne partirai qu'après-demain après avoir remis tout en ordre.


        Supposant que les Éditions MeMo devront me demander l'autorisation de publier les illustrations que tu as choisies, je crois nécessaire de te donner le moyen de me joindre, au cas où... mais sans obligations!...


        Je serai, pour plus d'un mois,

 

        chez Georges Lorenzo dont l'Email est : lorenzo.agay@gmail.com


        A toi. FRV

 

 

2021 09 27 DE LB

       Un dernier mot

         

        Pour une lettre de fin elle porte beaucoup d’interrogations… à moins qu’elle n’exige de ma part des justifications.

       J’y reviendrai probablement même si mon emploi du temps se densifie à mesure qu’approche l’ouverture de l’exposition à Lyon, donc pas tout de suite.
       Merci en tous cas pour cette longue lettre et bon séjour chez ton ami.
       Bien à toi,
       Loïc

 

 

2021 11 30 DE LB

        Une question et une autre

       

         Bonjour François,
         comment vas-tu?
         Es-tu rentré de ta villégiature chez ton camarade?
         Je rentre moi-même d’un séjour en famille à Milan où j’ai vu de bien belles choses, en matière de design évidemment, ainsi qu’une superbe exposition consacrée à Saul Steinberg.

         Nous n’avons jamais évoqué ce génie du dessin mais je suis certain qu’il ne te laisse pas insensible.
         Les éditions MeMo m’ont signalé qu’ils n’avaient pas eu de réponse de ta part concernant ton autorisation concernant certaines reproductions d’albums pour le livre. As-tu vu passer ce message ? Si non je peux te le renvoyer.
         Une autre question à propos du catalogue La Littérature en couleurs : qu’est-ce que ce SMPE ? À quoi correspond cet acronyme, je n’en trouve trace nulle part ailleurs.
        À bientôt de te lire,
        Loïc

 

2021/12/02 A LB

3 Messages adressés
ccmag.fr <http://ccmag.fr/>

 

 

          Deux messages ...

          ... à Caroline Lascaux dont je te fais parvenir le dernier en supposant que tu as déjà les 2 premiers.
          Trois messages consistants.

          Qui vont certainement te causer des difficultés mais qu'à mon sens tu mérites bien, puisque tu refuses d'entendre ou de comprendre, obnubilé que tu es par Delessert et Couratin – que ne te contentes-tu de faire un livre sur eux au lieu de te mêler de littérature pour la jeunesse et de me mêler à eux ?...–.

 

           Les raisons qui m'ont incité à publier de la littérature, non pas été accompagnée d'images mais d'illustrations de type graphique.


           Sincèrement, vu le tour que prend pour moi ce livre, je ne souhaite plus qu'une chose : ne plus jamais, au grand jamais, en entendre parler !


          Salut. FRV

 

 

 

 

 



22/03/2022