RUY-VIDAL CONCEPTEUR D'ÉDITION

RUY-VIDAL CONCEPTEUR D'ÉDITION

2018/05/05. 1ERE PARTIE DU TRICKY MIND DE MME BOULAIRE-BINAIRE

 QUELQUES RÉFLEXIONS DÉSABUSÉES SUR UN ARTICLE DE MME BINAIRE

       Pour être bien sûr de ne pas me tromper sur le cas de Mme Boulaire, qu’Annie Renonciat m’accusait de méjuger sans avoir apprécié ses talents, j’ai fait l’effort d’aller relire deux articles qui m’intéressaient parmi tous ceux qu’elle a écrit et vous fais part ici des réflexions qui me sont venues à l’esprit à la lecture de celui qu’elle a intitulé :

La critique périodique de livres pour enfants

depuis l’après-guerre”

      Titre alléchant et sujet passionnant que je n’aurais raté pour rien au monde puisque j’ai grandi dans cet “après-guerre” et que titre et sujet évoquent cette époque de ma vie où je prenais, pour la première fois, conscience de la société dans laquelle j’allais forcément devoir m’inscrire. A vrai dire j’ai été sensibilisé à cette réflexion que l’on pouvait mener sur tout ce qui concernait les productions pour les enfants, dès mon entrée à l’École Normale d’Instituteur, en 1947, (J’avais 16 ans) – soit deux ans après 1945, période qui inaugure ce qu’on appelle communément l’Après-guerre –, par notre professeur de Français qui était aussi notre professeur de psychopédagogie. Sa méthode consistait par exemple à nous confronter aux livres pour enfants qui existaient sur le marché en nous incitant à les commenter et à établir des comparaisons avec les livres classiques qui avaient été publiés dans la passé, ceci dans le but de nous faire prendre conscience de l’évolution du statut de l’enfant.  C’est ainsi que nous passions de l’éléphant Babar, de Cécile et Laurent de Brunhof, au canard Gédéon de Benjamin Rabier puis à des fables de Samivel Chapeaux pointus…livres que je découvrais puisque je n’avais pas eu la chance, en raison de la pauvreté de ma famille et de l’éloignement de mon village natal, de pouvoir les entrapercevoir dans mon enfance.

        Le fait que notre professeur de français, habituellement chargé uniquement de littérature nous incite, parce qu’il était aussi notre professeur de psychopédagogie, à réfléchir sur ce que l’on donnait à lire aux enfants, fut certainement déterminant pour moi plus tard lorsque je pris des fonctions d’édition. Quoi qu’il en soit, c’est cette première sensibilisation qui me permit  de me sentir concerné par tout ce que notre société d’avant-guerre et d’après-guerre offrait à ses enfants en vue d’en faire des citoyens et de ce que ces enfants pouvaient trouver de bon à lire parmi tous les livres publiés par les éditeurs. Mais ce n’est en fait que quatre ans plus tard, lorsque j’entrai en exercice et prendrai mes fonctions dans l’enseignement, en 1951, (j’avais 20 ans), que ces critiques périodiques de livres pour enfants m’intéressèrent véritablement et ce pour deux raisons évidentes : d’une part, mes penchants de toujours et la curiosité inassouvissable que j’avais depuis mon adolescence pour la littérature et, d’autre part, le besoin professionnel d’être tenu au courant et savoir ce qui se publiait pour les enfants de manière à être en mesure de conseiller mes élèves, et leurs parents, sur les meilleurs livres qu’ils pourraient trouver en librairie. 

        Tout dans ce titre et ce sujet que traitait Mme Boulaire me semblait donc annoncer que j’allais retrouver des titres de revues, des noms d’analystes critiques responsables – généralement des pédagogues se piquant de journalisme, ou des journalistes se piquant de pédagogie –, et derrière ces titres et ces noms surtout l’esprit, l’ambiance, le climat dans lesquels, à ce moment-là,  période de redémarrage d’activité pour notre pays, aussi bien les livres publiés à l’intention des enfants que l’accueil que leur réservaient les parents et les enseignants, révélaient notre désarroi et notre volonté de survivre. Toutes nos expectatives d’attente, celles de la jeunesse, celles des parents chargés d’enfants et celles des enseignants, nous commandaient d’espérer de trouver, dans la littérature, dans les films et les chansons… des encouragements à vivre mieux, plus lucidement et plus consciencieusement.

        Période faste puisque nous reprenions espoir, dont les caractéristiques étaient la remise en question totale de nos façons habituelles de reconsidérer la vie en général en rapport avec celles que nous avions eu avant et pendant la guerre. Le plus dur étant avant tout et surtout d’oublier celles, dramatiques, ignobles le plus souvent, sinistres pour tout dire, qui correspondaient à la durée de la guerre. Ces années de guerre ne pouvaient servir de référence que pour les pires des choses. Elles avaient été trop inhumaines et il ne serait venu à l’idée de personne de vouloir les reconduire. Oublier, pardonner, espérer en un monde meilleur, vouloir le construire à neuf en retrouvant avec nostalgie les bonnes parts de celui que nous avions eu avant la guerre…étaient dans l’esprit de chacun de nous. Bref, je peux supposer que jeunes et vieux, «ceux qui avaient fait la guerre et ceux qui ne l’avaient pas faite», souhaitaient repartir d’un bon pied et envisager de vivre sur de nouvelles bases, en sélectionnant mieux qu’auparavant les objectifs primordiaux à favoriser pour éviter les erreurs du passé et pour faire face à ce que nous appelâmes la Reconstruction..

        A retrouver ce titre et ce sujet choisis par Mme Boulaire, je me réjouissais donc par avance, imaginant que j’allais revivre, un tant soit peu, ce passé triste mais exceptionnel de l’après-guerre qui avait forgé, de bric et de broc, en raison de ce que j’avais vécu pendant la guerre et des souvenirs personnels intimes que j’en gardais, puis de cette exaltation à entreprendre qui régnait dans notre air de vivre, aussi bien mes goûts et mes convictions en littérature que mes engagements pour l’enseignement et l’action culturelle.

       Mais, premier désenchantement et à mon étonnement, je remarquai aussitôt, dès pourtant ce titre alléchant, que Mme Boulaire avait choisi de ne pas délimiter, de manière précise dans le temps, par des dates boutoirs comme il me semble qu’elle aurait dû le faire, ce sujet principal qu’elle entendait traiter. La question que je me posai et que tout lecteur est en droit de se poser face à ce titre imprécis étant : à partir de quelle année exacte Mme Boulaire a-t-elle commencé son recensement ?... 45, 46, 47, 48, 49, 50 ?...  Et jusqu’à quelle date finale ?...

      Puis, après vérification, cette autre question : pourquoi Mme Boulaire ne s’est-elle arrêtée qu’en 1969 et pourquoi n’a-t-elle pas poursuivi son enquête jusqu’en 2015 ?... Oui, pourquoi, puisque nous sommes bien et nous vivons bien encore dans cette Après-guerre ?... Et son titre n’est-il pas : «depuis l’Après-guerre» ?...

Question d’importance s’il en est qui, par omission, donne une idée de la manière peu franche dont Mme Boulaire se sert – qu’elle emploie systématiquement comme je le démontrerai dans d’autres de ses écrits – pour valoriser certains faits qui lui conviennent et servent sa stratégie d’encensement de certaines personnes auprès de qui elle entend “se faire bien voir”, en occultant d’autres faits pourtant aussi importants, voire plus importants même que les premiers mais en face de qui elle feint de devenir aveugle pour ne pas en tenir compte.

       Habile stratégie de démonstration, mais à première vue seulement, car la tactique et le procédé qu’emploie Mme Boulaire pour essayer de nous persuader de ses choix, en nous menant en bateau et en essayant de nous faire passer des vessies pour des lanternes sont grossiers et peu dignes d’une historienne chercheuse. Si grossièrement évidents, qu’on se demande si, à prendre ainsi ses lecteurs ouvertement pour des imbéciles, Mme Boulaire ne s’est pas auto-convaincue de ses sur-pouvoirs de subjugations et si son infatuation ne la berne pas elle-même au point d’en perdre la notion du vrai, du vraisemblable et de la supercherie.

      Ah ! Cette soif, cette avidité de convaincre !... quels sommets et quels abîmes d’estime et d’excès de confiance en soi elles dénotent !

     Au risque de me répéter, mais cela uniquement pour que les lecteurs comprennent où je veux en venir, je maintiens que tout ce que Mme Boulaire va essayer de nous faire gober, dépend, dès le départ, de l’imprécision du titre de son article et de ce que cette imprécision, va lui offrir comme terrain d’envol pour falsifier à son aise. C’est ainsi que par exemple, partant de là, sans dates précises annoncées, s’arrogeant toutes les libertés qui lui conviennent Mme Boulaire va, sans respecter la chronologie des parutions des périodiques dans ce laps de temps, non défini par elle, mais qui en gros correspond à l’Après-guerre, se complaire et s’étaler, en commençant par pourlécher et encenser copieusement – solidarité féminine obligeant ! – la grande prêtresse qui prit ses fonctions dans le milieu des années soixante, 1965 exactement, soit vingt ans après le début de cette Après-guerre : sa sérénissime, mademoiselle Geneviève Patte, associée solidaire de Mme Anne Schlumberger-Doll, mécène bâtisseuse de la Petite bibliothèque ronde de Clamart, fondatrices de la Joie par les livres et du Bulletin d’analyses de livres pour enfants.

      Comme on le verra par la suite, si les dates boutoirs avaient été fixées, et si le recensement de Mme Boulaire avait respecté la chronologie, le premier périodique qui parut dans cette immédiate Après-guerre, en 1948, comme elle le dira bien après avoir encensé Geneviève Patte, fut «La revue Enfance, créée justement, en 1948, par Henri Wallon…» Date et périodique par lesquelles Mme Boulaire aurait dû commencer si elle n’avait pas été de parti-pris et si elle n’avait pas eu  en tête, dès son résumé préambule, chapeau de son recensement, de favoriser et de donner d’emblée les premières places, prouvant par là un favoritisme qui sera récurrent tout au long de son article, au Bulletin d’analyses de livres pour enfants, à l’organisme La Joie par les Livres et à leur madone, Sainte Geneviève Patte.

       Tactique grossière, procédé malhonnête, technique radicalement et schématiquement binaire, démonstration manipulatrice… Mme Boulaire ne s’embarrasse pas de nuances. Elle ne sait pas faire de différence entre ses élèves et les lecteurs, et pense, dans sa fureur de convaincre, comme le docteur Knock, qu’il n’y a pas de gens lucides sur la terre et que tout le monde, suspendu à ses lèvres et à sa prose, est prêt à se laisser berner, pour gober ses synthèses et même s’accroupir, s’agenouiller et clamer comme elle, avec elle, ses élans de vénération pour Mademoiselle Patte, vestale de la littérature enfantine.

       La révérence et le compliment sont tellement outrageusement appuyés qu’on se demande si – moi le premier qui, comme chacun sait, ai toujours été plus insolent qu’objectif –, l’article de Mme Boulaire, qui me paraissait pourtant tellement riche de promesses lorsque je ne considérai que les suggestions du titre, n’a pas uniquement été écrit pour donner prétexte au panégyrique de Geneviève Patte, de sa mécène Anne Schlumberger-Doll, de la joie par les livres et du périodique le Bulletin des livres pour enfants.

        Car, en regard de cette mise en valeur, tous les autres responsables : fondateurs, collaborateurs, intéressés, concernés, et soutiens de ces nombreux périodiques parus de 45 à 65, des pointures pourtant, tels Henri Wallon, Marc Soriano, Mathilde Leriche, Raoul Dubois, Natha Caputo, Roger Boquié et Monique Bermond, Janine et Jean-Marie Despinette, Paulette Copin … par comparaison dépréciatrice paraissent n’être à ses yeux que des embryons de satellites face à l’étoile de première grandeur qu’est pour elle Mademoiselle Geneviève Patte.

        Parce que tendancieux, l’article est malhonnête. Mme Boulaire envoie dans la trappe de l’histoire tout un panneau de mon histoire, celle que j’ai, comme beaucoup de Français, vécue comme un cauchemar, sans avoir pleinement conscience qu’elle était réelle. Du moins sur le moment ! Mais que je perçois mieux maintenant avec le recul du temps. Tous les gens de gauche qu’elle cite et qu’elle présente à ses élèves et aux lecteurs “inavertis” qui s’intéressent à la littérature pour la jeunesse, sous la même étiquette de communistes, étaient tous, avant d’être léninistes, staliniens, marxistes, trotskistes, maoïstes… des êtres humains, préoccupés et bénévolement préoccupés – car aucun d’entre ceux qu’elle cite n’est devenu riche, ou ministre, ou même fonctionnaire à la direction du livre comme Mlle Patte –, par la santé – santé physique d’abord : manger suffisamment et pouvoir se soigner, puis santés psychique et morale – des enfants et des plus jeunes parmi les plus démunis de notre pays.

Redire à Mme Boulaire que nous étions en période de reconstruction totale semble nécessaire. Car, à la reconstruction des immeubles bombardés dans des villes entières parfois (Brest, Le Havre…) s’ajoutaient les industries saccagées par les nazis … Bien involontairement nos préoccupations ne visaient plus, d’abord et avant tout, qu’à la restauration de nos consciences égarées par les horreurs vécues et à la régénération de nos forces psychiques affaiblies par les divorces internes de notre propre communauté française divisée en clans politiques ennemis.

        Ne parlant que de ceux que j’ai connus, parmi tous ces gens d’opinions politiques diverse qui se préoccupaient d’encourager les enfants et la jeunesse à lire et à bien lire, dont j’ai pu apprécier les qualités de cœur et l’honnêteté fondamentale, je peux affirmer que leurs opinions politiques ne déparaient en rien l’authenticité de leurs démarches intellectuelles et de leur fidélité à cette éthique d’enseignement forgée depuis la fin du dix-neuvième siècle autour de l’idée de la laïcité. Je dis cela non pas en fonction du bien qu’ils pouvaient penser de la sincérité de mes engagements en faveur de l’action culturelle, ni des livres que je publiais qui en étaient les aboutissants – Raoul Dubois par exemple n’appréciait pas du tout mes premiers livres qu’il jugeait prétentieux et superficiels – mais en fonction de leur mérite et de leur dévouement. Ce qui, de fait, m’autorise en droit à m’insurger contre la manière binaire et insultante dont Mme Boulaire en use pour, bâclant le sujet plutôt que de l’inventorier et d’ouvrir des pistes de réflexion, mentionner en survol, avec une condescendance compatissante et minimisante appuyée, ces êtres, respectables et dignes d’exemplarité, que furent  Henri Wallon, Marc Soriano, Natha Caputo, Mathilde Leriche, Jacqueline et Raoul Dubois, Roger  Boquié et Monique Bermond, Janine et Jean-Marie Despinette… en les taxant tous, peu ou prou, de communistes. Cela au mépris du travail qu’ils ont accompli, de leur investissement humain et des voies qu’ils ouvrirent dans l’exploration de la littérature pour la jeunesse. 

C’est ce dénigrement, très machiavéliquement distillé qui est révoltant. D’autant plus qu’il n’est orchestré qu’afin de mieux cirer les pompes d’une Mlle Patte sanctifiée, seule gloire objective, sans étiquette politique, douée de tous les talents de lucidité, de toutes les capacités d’appréciation et de jugement qualitatif des livres pour la jeunesse.

        Comme on ne pourra hélas le comprendre qu’une fois bien engagé dans la lecture de l’article de Mme Boulaire, l’important pour elle n’étant pas ce qu’un,   historien ou chercheur scientifique avéré aurait fait en accordant, en priorité, à Henri Wallon, puisqu’il était le premier après la guerre à prendre cette initiative, le mérite d’avoir, en 1948, créé la revue Enfance, c’est en partant de 1965 et en commençant par-là, date qui lui parait supra-importante, que Mme Boulaire décide de fixer le début de la prise de conscience, en France, de l’importance  des livres et des lectures des enfants et du soutien critique à mener par une réflexion analytique périodique des productions paraissant à leur intention et de l’intérêt que nous aurions à augmenter parallèlement le nombre des bibliothèques sur notre territoire et particulièrement le nombre des bibliothèques pour enfants.  

        Mme Boulaire dit donc, d’emblée : « La création de la Joie par les livres en 1965 s’accompagne de la naissance d’un Bulletin d’analyse de livres pour enfants, bulletin critique de parutions pour la jeunesse qui deviendra en 1976 la Revue des livres pour enfants, l’organe sans doute le plus lu de la profession de bibliothécaire pour la jeunesse aujourd’hui

        Le mot sans doute n’étant là que pour prétendre, l’air de n’engager à rien et sans paraitre trop radical mais pour affirmer tout de même… vous voyez ce que je veux dire…alors que le mot aujourd’hui qui suit immédiatement pour conclure, sonne comme un coup de gong final qui, d’un bond de sept lieues par-dessus les temps, tente de nous asséner qu’il n’y a jamais eu, en matière d’analyses critiques de littérature de jeunesse, de périodiques plus intéressants que ce Bulletin d’analyse de livres pour enfants, alors que ce Bulletin… n’était qu’un petit opuscule imprécis psycho- pédagogiquement et carrément débile sur le plan de l’évaluation des illustrations.

       C’est par cette juxtaposition binaire, piège à cons récurrent utilisé par Mme Boulaire-Binaire, qu’elle enfume ses sujets, en déshabillant Pierre pour parer Geneviève, pour mieux enfumer ses lecteurs, et mieux faire passer ses vérités intéressées, pré-guidées, de parti-pris, annoncées avec force pour convaincre en les recommandant par l’ajout de ses titres universitaires ronflants comme scientifiquement indubitables.

      Quoi qu’il en soit, l’avis de Mme Boulaire n’étant qu’un des avis émis parmi d’autres sur ce petit et dérisoire Bulletin de livres pour enfants et certainement   même, compte tenu de la manière dont elle s’en sert, le moins objectif, mon avis, en contrepartie, qui vaut ce qu’il vaut, n’en est pas moins un témoignage, puisqu’il fut partagé par un ensemble de personnes : Marc Soriano, Raoul Dubois, Mathilde Leriche, Germaine Finifter, Janine et Jean-Marie Despinette, Roger Boquié et Monique Bermond, Bernard Épin…– que Mme Boulaire cite, ou évite de citer d’ailleurs dans cet article, mais  toujours en vrac et témoins de second ordre, sans les égards cérémonieux qu’elle a lorsqu’elle mentionne Mademoiselle Patte – pour qui ce Bulletin d’analyse de livres pour enfants passait pour quasiment infantile, rédigée «à la va comme j’te pousse» par des apprenties sans aucune notion de psychopédagogie de l’enfant, peu ou pas concernée par la littérature et totalement ignorante en arts plastiques, qui ânonnaient et à qui, Mlle Patte, sous l’œil de surveillance d’Anne Schlumberger-Doll, avaient donné pour consigne, afin de rassurer les parents, de ne prendre en compte et de ne considérer comme recommandables pour les enfants que les livres qui, dès la couverture, donnaient la preuve, par le titre et pas la tonalité des images, qu’ils étaient simples, compréhensibles et donc assurés de convenir pour tous les enfants. A lire ce Bulletin on comprenait immédiatement que la littérature enfantine était un domaine très précisément circonscrit, un domaine de femmes à part entière, réservé, protégé, policé… celui où devait régner la tendresse, la gentillesse, et un catéchisme réservoir de bons conseils et de bons sentiments exclusivement.

      A lire ce Bulletin on comprenait immédiatement que la littérature enfantine était un domaine très précisément circonscrit, un domaine de femmes à part entière, réservé, protégé, policé… celui où devait régner la tendresse, la gentillesse, et un catéchisme réservoir de bons conseils et de bons sentiments exclusivement : ce que j’ai appelé la littérature intentionnelle.

      Un domaine bien particulier mais totalement fabriqué et en marge des cruautés de la vie, du mal, des méchants : un petit paradis, en fonction duquel, pour en convaincre les enfants et pour rassurer les parents, les rédactrices de ce Bulletin s’interdisaient de mentionner tous livres pour la jeunesse qui ne correspondraient pas aux critères bonimenteux, (textes adaptés en thèmes, vocabulaires et syntaxes au niveau enfantin) – Mais de quel niveau enfantin s’agissait-il– critères définis une fois pour toutes par les autorités de tutelles selon un amalgame puissant fait de trusts d’éditeurs franco-américains producteurs, de prescripteurs-trices assujettis à ces trusts, dont la mécène Mme Anne Schlumberger-Doll et sa majordome Geneviève Patte. Inutile de dire que ces livres “immédiatement reconnaissables par les enfants et par leurs parents  comme étant pour enfants” ne pouvaient être qu’accompagnées d’illustrations qui seraient immédiatement identifiables comme étant pour enfants. Raison qui fera que, comme je pus le constater de 1965 à 2003, même après le changement de nom de ce petit Bulletin… devenu alors, un peu trop facilement, Revue des livres pour enfants, ce sont les illustrations qui imitaient le faux dessin d’enfant qui étaient toujours le style le plus prisé et le plus recommandé par les griffonneuses de La joie par les livres.

      Comme on ne pourra hélas le comprendre qu’une fois bien engagé dans la lecture de l’article de Mme Boulaire, l’important pour elle n’étant pas ce qu’un   historien ou chercheur scientifique avéré aurait fait en accordant, en priorité, à Henri Wallon le mérite d’avoir, en 1948, créé la revue Enfance, c’est en partant de 1965, cette date lui paraissant supra-importante et en commençant par-là, que Mme Boulaire décide de fixer le début de la prise de conscience, en France, de l’importance de la lecture et de l’intérêt que nous aurions à augmenter le nombre de bibliothèques sur notre territoire et particulièrement le nombre des bibliothèques pour enfants.  

       Mais comment alors, pour Mme Boulaire, après un tel chapeau d’article, et l’affichage d’un tel panégyrique disproportionné en l’honneur de Geneviève Patte, reprendre la main et donner des preuves de l’objectivité de son enquête ?... Comment se rattraper pour paraitre scientifique et traiter enfin de ce qu’on s’est engagée, par l’énoncé du titre, à traiter, sinon par un rafistolage de mots abscons, propres à impressionner le badaud, du style : ne partez pas bonnes gens, car je vais maintenant, ma crédibilité en dépendant, employer des mots savants pour vous parler de «forces en présence» en vous promettant d’en « souligner les lignes de tension, idéologiques ou formelles, qui parcourent ce champ des discours».

       Des mots savants pour farder l’hagiographie des propos tenus précédemment mais qui ne trompent personne puisqu’immédiatement après on retrouve encore, avant que l’article proprement dit ne commence, une autre allusion  complaisamment référente à Geneviève Patte : 1 Geneviève Patte, Mais qu’est-ce qui les fait lire comme ça ?, Paris, Les Arènes / L’École des loisirs(…)  

       Enfin ! – Du moins nous l’espérions !– aller pouvoir commencer vraiment ce fameux article préfiguré par Mme Boulaire !...

      Mais non, car alors qu’il s’agit de La critique périodique de livres pour enfants depuis l’après-guerre, sans tenir compte le moins du monde de la chronologie des périodiques qui auraient dû être recensés, le sujet principal et essentiel lui paraissant encore et toujours être Geneviève Patte, Mme Boulaire recommence par la création de la petite bibliothèque ronde de Clamart et répète pour que nous l’entendions bien : «La fondation de la bibliothèque « pionnière » de la Joie par les Livres, en 1965, est accompagnée par la création d’un comité de lecture réunissant, outre les bibliothécaires amenées à animer la nouvelle structure, des professionnel(le)s venus de nombreuses bibliothèques dispersées sur le territoire… Bulletin d’analyse de livres pour enfants, bulletin critique de parutions pour la jeunesse qui deviendra en 1976 la Revue des livres pour enfants, l’organe sans doute le plus lu de la profession de bibliothécaire pour la jeunesse aujourd’hui.»

      Un peu plus loin dans son article, très habilement, Mme Boulaire s’étale encore sur Clamart et la bibliothèque offerte par Mme Anne Schlumberger-Doll – ce qui est proprement hors sujet en rapport aux critiques périodiques– dans le seul but de nous ramener toujours sur Geneviève Patte, nommée directrice de cette bibliothèque modèle….etc… En profitant de l’occasion, pour aller jusqu’à tenter de la faire passer pour une victime en laissant supposer que c’est injustement, par jalousie certainement, que la majeure partie des membres de la confrérie des gens du livre pour enfants s’imposaient de faire silence sur les décisions glorieuses prises par Sainte Geneviève…Un silence, que Mme Boulaire trouve inadmissible et dont elle accuse toutes les autres personnalités responsables de la réception critique des livres pour enfants français. Elle dit, en s’insurgeant presque : « pourquoi tous ces spécialistes de littérature pour la jeunesse ne disent-ils rien, dans leurs colonnes, de l’ouverture d’une bibliothèque qui se proclame pionnière dans l’offre de livres à destination des enfants ?»

       Puis Mme Boulaire, encore très habilement et très perfidement, se rattrape aux branches en citant la financière américaine Anne Schlumberger-Doll – plutôt que Geneviève Patte vraie responsable de cette bibliothèque –, comme étant éventuellement, peut-être – car là, Mme Boulaire avance à pas comptés – la cause de ce silence, en disant : «On pourrait s’étonner, dès lors, d’un double aveuglement …  et pourquoi, dans le sens inverse, aucun contact ne semble-t-il pris par Anne Schlumberger, mécène et fondatrice de la bibliothèque de la Joie par les livres qui souhaite faire profiter les petits Français d’une bibliothèque « à l’américaine »

       Ensuite, jugeant certainement que ses allusions-accusations sont par trop formellement signifiées, Mme Boulaire souhaitant les aérer suppose que, changeant de style, quelques questions soulevées allégeraient son compte-rendu. Et alors que ses analyses sont à peine amorcées, sans même les avoir examinées et menées à bien – caractéristique spécifique et véritable tic récurrent d’argumenter de Mme Boulaire –, voilà qu’elle s’empresse de les conclure par une mise en question qui lui permet, habile dérobade, de se défiler pour éviter de s’engager et d’y répondre elle-même en affirmant : «Ce n’est pas le lieu ici de s’étendre sur cette double question, mais elle mériterait d’être approfondie.»

       Remise en question de pur principe qu’elle a déjà utilisée et qui nous permet de déduire non pas qu’elle ne sait pas y répondre mais qu’elle ne veut pas y répondre, pour ne pas se mouiller et risquer d’encourir à la fois la désapprobation des lecteurs et celles de ses superviseurs-seuses de la congrégation pour qui elle déploie ses louanges : la puissante congrégation “ BNF/Joie-par-les-livres/ CNLJ”.

       Il s’agit là, en somme, d’une forme patente de dérobade qui permet à Mme Boulaire d’affirmer d’une part des faits qui ne sont ni explicités ni vérifiés et, d’autre part, de se défausser en renvoyant vers les lecteurs le soin et la responsabilité d’en trouver les explications.   

       A ce point de mes réflexions, je fus en droit de repenser à ce que j’avais déjà décelé dans d’autres écrits de Mme Boulaire mais sans m’en formaliser : un certain négationnisme qui lui permet de ratisser large, de s’approprier de propos tenus par d’autres personnes, moi en l’occurrence, dans des contextes précis, propos et personnes qu’elle évite de citer nommément mais dont elle plagie les arguments pour les donner en vrac, souvent épars et désarticulés de façon à ce qu’ils passent pour anonymes, cela dans le seul but de faire penser qu’elle en est, alors qu’elle n’a fait que de les recenser, l’initiatrice.

       Je pense que Mme Boulaire atteinte de “déformation professionnelle précocement sénile” a tendance à penser, par abus de certitude en elle-même, que les lecteurs n’auront pas plus de capacités que ses élèves, limitées, en raison de leur jeunesse, en connaissances du passé et de capacités de jugement – je ne fais que présumer cela après avoir lu le compte-rendu que Mme Boulaire fait à propos de ses élèves, dans le beau et le moche – par manque d’appétit de connaître ce passé, et qu’en conséquence, effleurer des sujets, ouvrir des perspectives, tatillonner des thèmes récurrents…parait suffisant à Mme Boulaire puisque cela lui permet, sans heurter les membres de la congrégation dont elle souhaite s’attirer les mérites et dont elle attend des applaudissements et des récompenses, de mieux encenser ses alliées et d’assurer ses assises.

       Mais cela bien entendu au détriment de tous ces autres responsables que j’ai bien connus qui ont œuvré dans tous les différents périodiques parus bien avant et bien après 1965!

      Raisons multiples qui m’incitèrent à rétorquer à Mme Boulaire, à la lecture de ce tissu d’amalgames falsificateurs « Mais si mais si !... Justement ! C’est bien le moment pour vous et le lieu d’approfondir cette double question pleine de chausse-trappes !». Et, pour la forcer dans ses retranchements, de demander à Mme Boulaire d’aller plus loin dans ses pseudo-analyses et de nous expliquer pourquoi, le panaméricanisme affiché de Mme Anne Schlumberger-Doll, en 1965, vingt ans après la fin de la guerre, persistait à vouloir nous considérer, nous Français, avec tous les  gouvernements successifs que nous avions eu depuis 1945 – pour mieux nous coloniser certainement et ainsi mieux nous imposer l’idéologie yankee de formatage des esprits et le “consumering” pour idéal de bonheur  ! –, comme des affligés handicapés, irresponsables inaptes, incapables de nous prendre en charge et d’avoir conscience des mérites que les bibliothèques et la lecture pouvaient avoir dans la formation identitaire des enfants et de la jeunesse. 

      Pour ma part, bien avant que Mme Boulaire n’arrive sur le terrain des livres pour la jeunesse, je me suis souvent demandé pourquoi le clan d’Anne Schlumberger-Geneviève Patte manifestait autant de réticences  aux livres que je publiais mais sans m’y arrêter vraiment et sans vouloir ni pouvoir leur donner d’importance tant j’étais alors pris par ce que j’avais à faire. Ce en quoi j’avais tort, puisque dès 1965 j’avais entendu mon associé Harlin Quist, alors qu’il était plutôt méprisant, voire sarcastique sur nos productions françaises pour enfants, dire en parlant des livres de Simon and Schuster, ces fameux Petits livres d’or, conçus pour valoriser le mode de vie euphorisé des américains suprématistes blancs et contrecarrer la propagande d’expansion des idées marxistes : «  childish ! For dumbs ! Pure schit !» Et il savait de quoi il parlait puisqu’il m’avouait que ses tantes – celles qui avaient financé ses études – l’avaient bourré de ces livres-là, que sa chambre en était pleine et qu’il en avait tellement horreur qu’il les jetait dans la poubelle pour ne plus les voir.

       Pour parler comme Dolto  – Faire comme on nous fait n’est pas péché, disait ma belle-mère – , je dirais que Mlle Patte devait avoir certainement des raisons secrètes, organiques, intra-utérines, psycho-physiologiques de vouloir ainsi, probablement afin de pouvoir se ranger parmi les personnes normales, acceptables, présentables et dignes de respect… de défendre, plus qu’il en fallait et plus particulièrement, une seule catégorie de livres dont les caractéristiques de conception étaient de vouloir, parce que pétris de causes conventionnelles et conformistes, gagner le faveurs de la classe majoritaire bienpensante et la satisfaction de l’opinion publique.

      Honnêtement, puisque l’objectif essentiel de Mme Boulaire en choisissant ce sujet sur les critiques périodiques depuis l’après-guerre, n’avait d’autre but que de glorifier cette bibliothèque de Clamart, sa fondatrice Anne Schlumberger-Doll, sa directrice Geneviève Patte, l’association La joie par les livres et le Bulletin d’analyse des Livres pour enfants, pourquoi n’en avoir pas fait un article entier, distinct de celui-ci, dans lequel elle aurait pu, tout à son aise, cirer toutes les pompes des gens qu’elle aurait choisis?...

       La question mérite qu’on s’y attarde : pourquoi en somme Mme Boulaire s’autorise-t-elle et s’évertue-t-elle à nous parler si longuement de Clamart et de Mlle Patte alors que le sujet qu’elle nous annonçait est bien plus intéressant ?...

Pour ma part, ce sujet des critiques périodiques me paraissant mériter plus d’intérêt, d’attention et d’importance que ne lui accorde Mme Boulaire, je ne peux que rappeler l’intérêt, l’attention et l’importance que lui accordèrent plusieurs personnes que j’ai côtoyées de près, au cours des années soixante – dont Mathilde Leriche aux CEMEA de 1963 à 1965 et Marc Soriano à l’Institut des Hautes Études en Sciences Sociales à partir de 1967 et jusqu’à sa mort sont les plus emblématiques –, parce qu’elles étaient convaincues, comme moi, des bonnes conséquences que l’existence et la diffusion de ces critiques périodiques pouvaient engendrer sur les critères de conception des productions pour la jeunesse. 

      Malheureusement, force nous était de convenir que nos convictions, hélas, étaient bien insuffisantes puisque nous restions impuissants face à ce que nous constations : la multiplication de ces livres importés directement ou non des États-Unis, tirés en coéditions américano-européennes à plusieurs millions d’exemplaires, (pour en baisser les coûts de fabrication) – dont les Petits livres d’or, et autres livres écrits et illustrés par Paul Caldone à partir de nos contes traditionnels européens, publiés également par Simon and Schuster – selon une programmation économique scrupuleusement mise au point dès 1949, en vue d’inonder le marché français et de décourager toute concurrence. Rappeler que ces livres étaient scrupuleusement et copieusement recommandés par les deux sœurs Schlumberger : Anne Schlumberger-Doll, demi-française, patronne mécène de Geneviève Patte et Dominique Schlumberger-du Ménil expatriée aux USA, dès 1941, avec les capitaux de la grande famille et devenue américaine – au même moment que Georges Duplaix, concepteur-éditeur des Petits Livre d’or aux États-Unis qui ne seront importés en France qu’après 1949, me semble nécessaire à dire aujourd’hui afin que les historiens du livre en tirent parti.

       Une fois ces choses reconnues et admises, on peut alors mieux comprendre pourquoi ces livres si fortement recommandés par la mécène de la Bibliothèque de Clamart ne pouvaient être désavoués par Geneviève Patte, directrice en place, collaboratrice redevable, exécutante de ses ordres et respectueuse de ses convictions en matière de livres pour enfants.   

        Des livres qu’on aurait été tenté de bien accueillir et de recommander, en supposant, selon un raisonnement peu pédagogique, que quels qu’en puissent être les contenus, leur lecture mènerait toujours les enfants à la réflexion et à la consolidation de leur identité … Raisonnement absurde mais que j’aurais pu facilement tenir moi qui ai tant manqué de livres pendant la plus grande partie de mon enfance, en citant même, pour ce faire, le titre du premier livre publié en 1978 par Geneviève Patte : Laissez-les lire.

       Hélas, les choses s’étant passées ainsi, on ne pourra jamais évaluer, faute de preuves concrètes, les torts que ces importations abusives, représentatives d’une autre culture, d’un autre mode de vie et de faits historiques qui ne correspondaient pas à ceux que nous avions vécu, ont occasionné de négatif et de meurtrier dans l’inconscient et l’imagination créatrice de nos auteurs, illustrateurs et éditeurs français de cette époque, puisque bon nombre de livres que nous aurions pu produire ne le furent pas en raison de cette surabondance de livres venus d’ailleurs. Même si ces livres avaient été spécialement et intentionnellement conçus, en vue de bien faire contre, le stalinisme, avec des objectifs de bénévolat secouriste très précis pendant la période historique de la “Guerre froide”, il faut bien remarquer néanmoins que ces livres, en raison des limites que les critères définissant les conditions de leurs conceptions leur imposaient, ne peuvent proposer aux lecteurs qu’un seul type de lecture. Type de lecture divertissante facilement assimilable mais qui ne se risquant pas aux controverses ne peut susciter ni confrontation, ni réflexion, ni confortation d’identité, dans l’esprit du lecteur. 

       Je veux dire par là que j’ai fort bien ressenti, moi qui avais dix-huit ans au moment où cette importation des Petits Livres d’or nous fut imposée, même si ce n’est que vaguement puisque je n’avais alors aucune intention précise de devenir éditeur, le décalage qui existait entre ces livres d’importation et ceux qui auraient pu être conçus et édités en France, à partir de notre humus, en fonction des choses dramatiquement tristes que nous avions vécues, par des auteurs et des illustrateurs typiquement et authentiquement français, selon un esprit français, en accord avec notre culture et avec les besoins de reprendre goût et confiance en la vie de notre jeunesse française… En somme, dans mon for intérieur, me mettant au niveau des enfants qui avaient six à sept ans en 1950, j’estimai que ces livres venaient au détriment de livres que les enfants auraient pu et dû avoir mais qu’en raison de la guerre ils n’ont pas eu et que nous n’aurons jamais.           

       Avec le recul, ce Laissez-les lire de Geneviève patte me parut bien simpliste et bien démagogique puisque j’estimai que ce n’était pas le mécanisme de la lecture qui nous éclairait et nous aidait, nous pervertissait ou nous sauvait… mais bien ce que nous y puisions, en qualité, dans ce que nous lisions. L’important n’étant pas de lire beaucoup, même si ce fait de lire en quantité peut nous aider à développer notre mécanisme de lecture, mais à lire des textes de qualité qui nous aident à devenir nous-mêmes. Il suffit pour cela de comprendre et d’admettre que la lecture est une conquête à remporter. Conquête double à mener puisqu’il s’agit à la fois d’appréhender la difficulté du déchiffrement des mots, des phrases et des idées autant que de débrouiller la complexité de notre écheveau mental. Le premier principe étant de ne pas encourager un lecteur, quel que soit son âge, à se cantonner à ne lire qu’un seul type de livres et à se satisfaire d’une seule catégorie de lecture.

      Dans ce refus d’applaudir à cette bibliothèque de Clamart, à cette joie par les livres, au Bulletin qui en émanait…on pourra prétendre aisément que je défendais des thèses de barbons nationalistes et on aura raison puisque ce sont justement ces petits livres d’or-là, et la désapprobation qu’ils m’inspirèrent, qui furent un des ferments qui m’incitèrent à m’engager dans l’action culturelle, le théâtre pour jeune public, jusqu’à oser ensuite devenir éditeur de livres pour la Jeunesse. La position de nationaliste me paraissant alors tout à fait défendable lorsqu’on avait, face à soi, un supra-nationalisme envahissant qui s’était persuadé, pour des raisons plutôt économiques qu’humanistes, non seulement de détenir les clés du bonheur universel, mais qu’il était de son devoir œcuménique d’imposer son idéologie euphorisante à toutes les civilisations de la planète. Le fascisme commence là : lorsqu’un peuple s’autorise à penser que sa manière de régenter la vie de ses concitoyens et d’éduquer et nourrir ses enfants doit, par la persuasion ou par la force, ou par le biais de donations caritatives, être imposée à tous les autres peuples du monde.   

      Pour ma part, je le répète, ce sujet étant d’une importance capitale, il mérite amplement des éclaircissements, et un autre traitement bien plus étayé que ce traitement radical binaire dont Mme Boulaire se sert plutôt que de le servir en jetant de la poudre aux yeux des lecteurs. En vérité, fidèle à son système de pensée étriqué et réducteur, au point d’en être esclave, Mme Boulaire ne s’estime convaincante que lorsqu’elle peut dénigrer et discréditer Pierre pour mieux honorer et glorifier sa sainte Geneviève. 

 

 



05/05/2018

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